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maison, le visiteur n’éprouve aucune envie de s’attarder long temps dans cette sorte de réduit, qui n’est même pas égayé par une perspective extérieure ; mais il ne serait étonné qu’à demi, si Alfred de Vigny, comme à Loches Ludovic le More, s’était distrait des lourdes heures d’ennui qu’il a dû passer là, en y gravant quelque inscription. Le poète aurait eu le droit de résumer ses trois ou quatre années d’existence rurale en reprenant le mot de Cervantes : Fué cautivo. — J’ai connu la captivité.


Je ne crois pas exagérer. Lorsque Vigny ouvre son cœur, — ce qui n’arrive pas à toutes les heures du jour, — le sentiment qui en jaillit spontanément est celui que je viens de dire et les mots peu fardés, qui traduisent ce sentiment, sont ceux de collier ou de chaînes. Dès 1843, dans cette période de pessimisme aigu et d’orgueil stoïcien qui nous a valu les chefs-d’œuvre des Destinées, il écrivait déjà à colle que le recueil Sakellaridés désigne par cette suscription « A une amie, » et qui venait de séjourner toute une année en terre italienne : « Hélas ! pourquoi me parler de moi ? Combien de chaînes n’ai-je pas au col dont je suis écrasé ! Puis-je voyager, moi ? Tout le monde excepté moi a le droit de voir et d’adorer la nature dans les belles contrées de la terre ; mais je -ne puis rêver des félicités lointaines qui me sont ravies, pour toujours peut-être, et je ne me consolé de mon immobilité forcée qu’en me réfugiant dans tout ce que la philosophie et la poésie ont de plus abstrait. »

Cette « immobilité forcée, » il la retrouve au Maine-Giraud et il finira, comme l’on peut le croire, par en ressentir la lassitude, le dégoût : « Vous venez de quitter vos églogues et vos bucoliques, » écrit-il, dès septembre 1848, à sa jeune amie Mme Louise Lachaud, qui rentre à Paris, après un séjour de trois mois à Treignac, en Corrèze, « mais il faut que je reste dans mes géorgiques. » Le 5 octobre 1849, il confie à Busoni son espoir de revenir à Paris « cet hiver » et, au sujet du Jules César de Barbier que Bocage voudrait jouer à l’Odéon, il ajoute : « J’aimerais à y assister, mais ce que j’aimerais, je n’y dois point penser en ce moment, et il me faut dire avec Epictète : Souffre et abstiens-toi. »

Le regret de Paris est, il faut bien le reconnaître, atténué