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port militaire et qu’on m’attendait à bord. Le yacht avait accompli, en trente-cinq heures d’une heureuse navigation, la traversée de Cannes à Naples. Une heure plus tard, j’arrivais au vieux port, et je hélais une embarcation.

— Combien pour aller au yacht français qui est arrivé ce matin ? demandai-je au batelier.

— Deux lires, gno.

— Non, cinquante centimes.

À Naples, il faut marchander pour être considéré.

Nous transigeons pour une lire. Je grimpe dans la barque. Le batelier rame debout et navigue au travers des embarcations, des voiliers, des vapeurs dont quelques-uns ronflent sous pression.

Un soleil pâle, mais déjà brûlant, se regarde dans l’eau calme. Je vois le dos de mon homme, convexe comme celui d’un polichinelle, qui se ploie et se redresse dans un rythme cadencé. Nous croisons une autre barque et un moment les rames semblent s’enchevêtrer désespérément. De part et d’autre, des exclamations s’échappent sur un ton courroucé ; les paroles acerbes se croisent comme des épées. Pure comédie ! Le silence se rétablit comme par enchantement et on s’éloigne les uns des autres le sourire aux lèvres.

Nous doublons la Lanterna. L’horizon s’élargit tout à coup ; le golfe apparaît dans son étendue, dominé par le volcan pacifique. De loin, j’aperçois la Fiorentina, blanche comme une jeune mariée, non loin d’un cuirassé maussade dont les larges flancs gris s’enfoncent en s’évasant dans les flots. Mais mon batelier ne semble pas le voir, car mollement, au lieu de virer de bord, il tire vers le large. Comme je lui fais observer que nous négligeons la ligne droite, il me répond, en se retournant à demi, que ce sera un beau spectacle de voir partir le grand paquebot qui fume à deux cents mètres de nous. Et il cligne de l’œil d’une façon si persuasive que je m’allonge en lézard à l’arrière pour voir filer le cétacé. C’est l’Arabic, avec ses ponts superposés, sa coque claire percée de trous ronds, qui emporte huit cents passagers, une ville flottante, une arche de Noé, vue de notre frêle esquif. Mon batelier, qui est certainement petit-fils de lazzarone, me crie tout à coup :

— Voyez, il lève l’ancre !

Un sifflement rauque se fait entendre, éveillant des échos,