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continue de briller dans le firmament d’un éclat tranquille, égal, pareille à une petite lune.

Dès l’aube, ce matin, j’étais sur le pont ; on ne distinguait pas la moindre terre à l’horizon. La Sicile s’était noyée au Septentrion et, vers le Sud, le rivage africain n’émergeait pas encore. Inopinément, la mer elle-même disparaît à mes yeux et le ciel avec elle. Nous nous trouvons ensevelis dans le brouillard, dans un brouillard léger, lumineux, mais parfaitement opaque. La sirène siffle, siffle à en perdre haleine, puis, un quart d’heure plus tard, le ciel reparaît aussi bleu et la mer aussi tranquille qu’auparavant. Ce brusque changement de décor me ramène à bien des années en arrière, en me rappelant ces nuages qui fondent comme la foudre sur les navires, aux environs de l’équateur. Les passagers ont à peine le temps de quitter le pont. C’est un déluge de quelques minutes, après quoi le soleil reprend majestueusement possession de son domaine, sèche en un clin d’œil les planches trempées et décoche ses flèches de feu à travers l’atmosphère que l’ondée n’a pas rafraîchie.


Tunis.

Un golfe qui se creuse, entouré de montagnes d’une coloration très fine, la pointe de Carthage à droite : le canal de la Goulette entre deux bords plats et des flamans roses à portée de fusil, dans les marais, voilà ce qu’on remarque avant d’arriver à Tunis. Le port est assez grand pour contenir les vapeurs qui le fréquentent, mais on est en train de l’élargir afin de parer aux événemens. Sur les quais, des magasins, comme de raison, puis une longue rue flanquée d’échoppes ; c’est le quartier européen qui commence. La rue oblique et les maisons s’anoblissent ; voici un théâtre italien, puis un théâtre français, un hôtel pour les voyageurs de marque, la cathédrale et en face la Résidence, des rues droites se coupant à angle droit. C’est la ville européenne, née d’hier, mais déjà prospère, qui grandit à mesure que débarquent les immigrans et que les capitaux affluent ; dans les rues, il y a du mouvement, des consommateurs dans les cafés, de jolies choses aux devantures des magasins. On sent, à mille indices, qu’on est au centre d’un pays qui s’enrichit, car les maisons européennes sortent du sol, enveloppent la cité musulmane et tendent à la déborder, comme le