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L’anomalie est plus apparente que réelle. Pendant l’expédition française de 1881, les soldats envahirent les mosquées de Kairouan ; elles furent dès lors considérées par les musulmans comme profanées. Il importe fort peu dorénavant qu’on leur manque de respect.

Comme le soleil darde ses rayons dans une atmosphère embrasée, nous montons dans la voiture de M. F... qui a étudié Kairouan en arabisant et en artiste. Nous entrons d’abord, afin de nous mettre en appétit, dans la mosquée des Sabres. Ce sanctuaire a cinq coupoles ; il fut construit, il y a un demi-siècle, par un forgeron, Amor Abada, qui voulut se ranger de son vivant au nombre des saints, de peur qu’on négligeât de l’y inscrire après sa mort. C’était un artisan habile, puisqu’il fit fortune, et un philosophe sans contredit, car il approfondit la crédulité de ses compatriotes. On montre près du tombeau du marabout les fourreaux des sabres qu’il fabriquait et que pourraient manier seuls des géans.

Dans un enclos voisin, des ancres gisent sur le sol. Le gardien nous assure sans sourire qu’elles proviennent de l’arche de Noé. Pourquoi pas ? Il se peut que l’arche ait possédé des ancres, quoique la Bible n’en parle pas et, dans ce cas, rien ne s’oppose à ce que ces ancres aient échoué en Tunisie.

La mosquée du Barbier, hors les murs, n’offre pas ce genre d’attractions. Les Musulmans rattachent son origine à Sidi Sahib, compagnon de Mahomet, à qui le Prophète donna trois poils de sa barbe pour lui assurer l’entrée du paradis. Les poils devaient permettre à Sidi Sahib de se faire reconnaître à la porte. L’édifice commande une esplanade découverte. Des murs blancs se coupent à angle droit et un minaret carré les domine. À gauche, une porte surmontée d’un tympan ; en face, une autre porte plus simple sous laquelle nous nous engageons.

Un escalier conduit au premier étage. Le spahi qui nous accompagne écarte les nattes que nos chaussures ne doivent pas effleurer, et nous pénétrons dans une cour à portiques qu’inonde la lumière du soleil africain. Les murs, sous les arcades, disparaissent jusqu’à la frise sous des lambris de faïence aux couleurs chaudes, mais atténuées, portant en arabe la signature d’artistes qui ont emporté dans la tombe le secret de leur art. Au-dessus s’alignent des stucs dans des compartimens symétriques ; c’est