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comme une riche dentelle qui se découpe en motifs variant à l’infini. L’œil se perd avec complaisance dans un dédale, avant d’atteindre le plafond sculpté chargé de ces dessins d’une précision savante, caractéristique de la manière arabe. Les Français ont entrepris de restaurer ces soffites en employant la main des ouvriers indigènes. C’est un sujet de grande satisfaction pour les gens de Kairouan. À quelque chose conquête est bonne !

Au milieu de la muraille du fond s’ouvre un arc et, dans une profondeur mystérieuse, on devine le tombeau du fondateur, une sorte de catafalque de velours vert fané, brodé d’or et d’argent. Des ombres vaguement colorées sont inclinées ou plutôt accroupies sur les nattes, immobiles, recueillies, souverainement indifférentes à notre curiosité. On me fait remarquer un malade étendu sur le sol ; il attend patiemment dans cette position la guérison miraculeuse. Des voix nasillardes psalmodient les monotones et interminables litanies de la liturgie musulmane. Le compagnon du Prophète daigne exaucer leur prière !

La voiture regagne la ville, passe sous une porte monumentale et nous dépose en face de murs hauts de six à sept mètres, d’une éclatante blancheur. À peine ai-je mis pied à terre que je suis saisi et comme ébloui par une vision d’Espagne. Ces murailles badigeonnées, percées de distance en distance de portes décoratives, cette tour carrée, de proportions colossales, qui semble veiller sur une forteresse, c’est à la fois Cordoue et Séville, l’enceinte de la mezquita de Jano et la merveilleuse, la troublante, l’inoubliable Giralda. Mais ici, tout est resté arabe. Les murs ont reçu l’appui de contreforts massifs ; le minaret est surmonté de sa coupole et du croissant.

À peine ai-je franchi l’arcade élégante escortée de deux colonnes, que je me trouve au seuil d’une cour immense, d’une cour silencieuse et déserte qu’on dirait le vestibule d’un palais enchanté. Des portiques l’entourent, et le minaret projette son ombre géante sur les dalles de marbre qui recouvrent le sol. En avançant dans le préau, vais-je rencontrer, comme le troisième calender fils de roi, quarante dames d’une beauté parfaite, empressées à me recevoir ?

Non, le palais enchanté n’est pas un lieu de plaisirs, mais une maison de prières, la mosquée de Sidi-Okba, la grande mosquée de Kairouan. La cour, avec ses arcades mauresques,