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assez grave pour déterminer la mort, lorsqu’on vient, trois semaines ou un mois après, à lui infliger le même empoisonnement, trois cas peuvent se présenter : 1° sa sensibilité au poison sera ce qu’elle était auparavant ; c’est le cas de la plupart, des poisons ; 2° sa sensibilité sera diminuée, c’est-à-dire qu’il faudra une dose plus forte du toxique pour déterminer les mêmes effets ; 3° — et c’est le cas qui nous occupe ici, — sa sensibilité sera accrue au point qu’une dose faible, inoffensive une première fois, deviendra offensive la seconde fois, comme si la première dose avait développé un état qui. loin de protéger l’organisme, l’a rendu plus vulnérable. C’est le contraire de protection, autrement dit, l’anaphylaxie.

Le premier cas ne nous intéresse guère : c’est le plus rationnel, le plus fréquent, d’ailleurs. Lorsqu’on a été guéri d’une intoxication, on est revenu à l’état primitif. Rien n’est changé, dès qu’on a éliminé le poison. Les organes et les tissus ont retrouvé leur état normal. Il s’agit du même individu resté identique, qui par conséquent est sensible de la même manière et répond à la seconde dose exactement comme il a répondu à la première. Il a suffi d’attendre quelques heures pour que !e poison ait été éliminé, et que par conséquent l’état antérieur (statu quo ante) soit récupéré. En principe, toute intoxication, quand l’élimination du poison est terminée, quand les lésions organiques (s’il s’en est produit) sont réparées, laisse le corps dans un état normal, identique à l’état précédent.

Il est vrai qu’on connaissait depuis longtemps une exception à cette loi. — C’est le second cas. — Il est des poisons avec lesquels on se familiarise : et, de tout temps, on a signalé cette étrange accoutumance. Par exemple on peut s’habituer à l’arsenic de manière à supporter finalement, par le fait d’un long usage, des doses d’arsenic que ne supporterait pas un organisme neuf. Les poisons de l’opium ont à cet égard un étonnant privilège. Ceux qui font usage d’injections de morphine, ont besoin, pour que la morphine agisse efficacement, de faire des injections de plus en plus fortes ; car on s’accoutume morphine, encore que ce soit un redoutable poison. Les malheureux morphinomanes fournissent un triste exemple de cette moindre sensibilité. Certains arrivent à pouvoir supporter des doses de dix grammes ou même vingt grammes de morphine. Et on a cité le cas d’individus pouvant boire, sans mourir.