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jusqu’à un litre de laudanum par jour. D’après une vieille légende, Mithridate, roi de Pont, craignant d’être empoisonné par les Romains, s’était, par l’usage de nombreux poisons, prophylactisé ainsi contre toutes les substances toxiques. Aussi appelle-t-on parfois mithridatisme cette vulnérabilité moindre, acquise par l’habitude, qui permet d’ingérer sans péril des doses toxiques très fortes.

On ne connaissait pas d’exemple de sensibilité accrue. Mais j’ai pu, en 1902, démontrer que parfois la puissance toxique d’un poison a augmenté énormément après l’ingestion de ce poison. Alors la sensibilité, au lieu d’être diminuée, comme par le mithridatisme ou l’immunité, a été exaltée. De sorte qu’après l’ingestion d’une dose inoffensive, l’organisme, un mois après, est devenu tellement sensible, que cette même dose inoffensive devient terrible et amène une mort rapide.

Quoiqu’on puisse à la rigueur retrouver çà et là dans les travaux des physiologistes anciens quelques documens épars sur ce phénomène, on ne l’avait, semble-t-il, ni compris ni méthodiquement décrit, quand j’en ai donné la démonstration rigoureuse et créé le mot qui permet de le définir.

C’est cette sensibilité accrue, ou anaphylaxie, que je vais exposer ici avec quelques détails.


On rencontre dans les mers australes des animaux de forme étrange qu’on appelle des Physalies (galères portugaises) ; ce sont des Cœlentérés, sortes de Méduses, qui sont gonflées d’air comme une outre, et pourvues de longs tentacules qui pendent dans l’eau.

Ces filamens, qui ont quelquefois un à deux mètres de longueur, sont munis de petits appareils qui adhèrent comme des ventouses aux objets qu’ils rencontrent.

Et, à l’intérieur de chacune de ces innombrables ventouses, se trouve une petite pointe acérée qui pénètre dans le corps étranger qui a été touché. De plus ces ampoules ventousaires contiennent un poison subtil, très actif, de sorte que le contact des tentacules de la Physalie équivaut à une multiple injection de ce poison. Si l’on touche une Physalie, on ressent aussitôt une douleur intense, due à la pénétration du liquide venimeux.