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ingestions ou intoxications, capables de modifier, par l’arrivée d’un albuminoïde étranger, l’état actuel optimum dans lequel nous sommes et dans lequel nous devons rester.

Peu importe que l’individu soit devenu plus vulnérable. Il est une condition plus importante encore que le salut de ce personnage ; c’est que l’espèce soit stable. C’est pour le maintien de la stabilité de l’espèce que l’individu, au risque de périr, maintient avec tant d’énergie son intégrité chimique contre les albumines hétérogènes qui vont essayer de l’atteindre.

Pour l’état optimum du cobaye, envisagé non pas comme individu, mais comme espèce, il faut que les sérums de lapin et de chien ne puissent pas remplacer son sérum de cobaye, et alors il y a forte réponse réactionnelle quand pour la seconde fois, par une tentative d’effraction et une voie anormale, son individualité chimique de cobaye est menacée.

Autrement dit, — et pour présenter cette hypothèse sous une forme un peu abstraite, mais qui la fera bien comprendre, — la vie de l’individu est moins importante que la stabilité de l’espèce.

Assurément ce n’est qu’une hypothèse, et elle ne sera peut-être pas acceptée par les physiologistes qui se refusent à admettre la notion d’une finalité dans la constitution des êtres. Mais, pour ma part, je suis de plus en plus convaincu que chaque détail de l’organisation a un rôle protecteur, utile et même nécessaire à la vie, et que, par conséquent, une grande fonction biologique générale, comme l’anaphylaxie, doit jouer un rôle essentiel dans la défense des organismes.

Et alors l’anaphylaxie nous apparaît finalement comme un procédé efficace et énergique pour maintenir la fixité chimique de notre corps, en provoquant une réponse réactionnelle, violente, immédiate, à toute introduction des substances étrangères qui pourraient l’altérer. Ce n’est pas la défense de l’individu ; c’est la défense de l’espèce, au détriment de l’individu lui-même.


CHARLES RICHET.