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plus désobligeantes, mais la jeune femme ne s’en avisait, que s’il y avait chance de les refréner sans bruit. Mesurant d’avance les concessions qu’il pouvait faire, elle ne parlait même pas des autres et mettait sa dignité à ignorer l’inévitable. Quelques années après son mariage, François Gonzague s’engouait d’une certaine Téodora, qui devint sa maîtresse et lui donna deux filles : il la produisait en grande toilette dans un tournoi donné à Brescia en l’honneur de la reine de Chypre, au vu et au su de toute l’Italie. Seule, Isabelle ne le sut pas. Près de dix ans plus tard, elle glissait encore légèrement sur les sujets de querelle et dans sa curieuse correspondance, c’est à peine si l’on aperçoit, comme à travers les fentes d’une porte, un peu de désordre dans le ménage. En octobre 1506, le marquis tient la campagne auprès de Jules II qu’il aide à reconquérir les Romagnes : on va entrer à Bologne en grande pompe, avec soixante-dix-huit cardinaux, il est sur les dents ; elle lui écrit :


Votre lettre d’excuses pour n’avoir pas déjà écrit m’a remplie de confusion, car c’est moi plutôt qui aurais dû implorer votre pardon pour mon retard. Ce n’est donc pas vous, quand je sais que vous avez à peine le temps de manger ! Mais puisque vous êtes assez bon pour me faire des excuses, vous le serez aussi assez pour excuser mes retards, qui ont été causés par la maladie de Federico et par ma répugnance à vous donner des nouvelles qui vous inquiéteraient. Maintenant, grâce à Dieu, il va parfaitement bien et je puis très joyeusement remplir mon devoir. Le chapeau que vous réclamez sera fait aussitôt que le maître sera arrivé et sera aussi beau et aussi élégant que possible. Si vous me dites quand vous en aurez besoin, je m’efforcerai de faire faire un manteau pour aller avec, s’il y a le temps, mais je vous prie de me le dire tout de suite. Merci pour le vœu que vous faites que je voie votre entrée à Bologne. Ce sera sans doute un spectacle magnifique. Je vais très bien, et, si vous le désirez, j’irai avec joie. Je crois que même une bombe aurait du mal à me faire broncher. Votre Altesse ne doit pas dire que c’est ma faute si je me dispute avec vous, car aussi longtemps que vous m’avez montré quelque amour, personne n’aurait pu me persuader le contraire. Mais je n’ai besoin de l’avertissement de personne pour m’apercevoir que, depuis quelque temps, Votre Excellence m’aime très peu. Mais comme ceci est un sujet désagréable, je couperai court et n’en dirai pas plus. Je suis peinée que Votre Altesse s’oppose à ce que j’appelle notre fils Ercole. Je ne l’aurais pas fait si j’avais pensé que cela vous déplairait. Mais Votre Altesse sait que lorsque vous étiez à Sacchetta, vous disiez qu’il ressemblait beaucoup à mon père, d’heureuse mémoire et qu’alors j’ai dit que, ceci étant, vous ne feriez pas mal de l’appeler Ercole. Vous vous mîtes à rire et ne dîtes plus rien ; mais si vous m’aviez dit votre pensée, je [n’aurais pas fait cette erreur. Mais que j’aie seulement un autre fils et vous pourrez l’appeler Alvise, ou tout ce que vous