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eût beaucoup d’autres que de chasses et de chevaux. Quand on l’allait voir, on le trouvait couché sur un lit somptueux avec trois pages armés de chasse-mouches à son chevet, trois lévriers et un nain vêtu d’or à ses pieds et tout un concile de faucons et de gerfauts à la chaîne gravement assemblés. Autour de lui, couvrant les murs, des portraits de ses chiens et de ses chevaux. Il tirait grande vanité de ses haras qui produisaient une race dite de Barbarie, enviée par toutes les cours. Ses écuries, situées au lieu aujourd’hui occupé par le palais du T, contenaient cent cinquante superbes chevaux de bataille ; il n’y avait pas de courses en Italie où ses couleurs ne fussent engagées et peu où elles ne fussent victorieuses. Il triomphait ainsi dans un vaste domaine sans entreprendre rien sur celui d’Isabelle d’Este. Elle régnait sur un plan où il n’était pas et où il n’avait pas besoin d’être pour, lui aussi, régner. Elle ne le reflétait non plus qu’elle ne lui portait ombrage, et ni son absence, ni sa présence ne la diminuait. Il l’avait épousée par politique, il s’y attacha par amour, il lui resta lié par intérêt. Il ne comprenait pas sa femme, mais il comprenait qu’il ne la comprenait pas, — ce qui est beaucoup pour un mari, — et à force d’entendre dire qu’elle était un être supérieur par des gens qu’il considérait comme supérieurs à lui-même : le Roi de France, le Doge, le Pape, il finit par en être fier autant et plus que de son écurie.

Mais le dressage ne se fit pas en un jour : bien souvent, des coups de boutoir vinrent avertir la dompteuse qu’il fallait déployer encore quelque souplesse pour mener le fauve où elle voulait. Le premier sujet de querelle, tout trouvé, était les enfans. Elle les poussait aux études littéraires et rayonnait quand elle voyait son fils aîné Federico, dès son bas âge, jouer des comédies d’Apulée avec des petits camarades, sous la direction de l’humaniste Francesco Vigilio. Un jour qu’écrivant à son mari, elle lui rend compte avec une naïve fierté de ces succès, il lui répond brutalement qu’il ne se soucie nullement que son fils ait beaucoup de connaissances littéraires, qu’il ne veut pas du précepteur que sa femme a choisi, et qu’il pense prendre bientôt le gars avec lui « pour en faire un homme. » Il rendait, ainsi, plus difficile à atteindre l’idéal visé par la mère, sans cependant jamais l’empêcher aucunement.

Ceci n’est rien. Le marquis avait des fantaisies infiniment