Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/413

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Este, jusque-là caché derrière une fenêtre, pour paraître et pour donner, au drame savamment agencé, un dénouement inattendu. Il fit grâce et commua la peine de mort prononcée contre ses frères en une prison perpétuelle, — ce qui fut regardé comme un des plus beaux traits de magnanimité familiale.

En ce temps-là, la perpétuité durait longtemps. Elle dura toujours pour Ferrante qui mourut dans son cachot, trente-quatre ans après, sans que sa captivité ait été relâchée d’un seul jour. Elle dura plus d’un demi-siècle pour Giulio. Il avait vingt-cinq ans quand il descendit dans la fosse profonde qui est sous le donjon de Ferrare. Il en avait quatre-vingts quand il obtint enfin sa grâce. Les habits solides de ce temps, et qui ne s’étaient guère usés dans la prison, lui tenaient encore au corps : c’étaient ceux mêmes de sa première jeunesse et les gens de Ferrare voyaient avec stupeur ce vieillard aller le long des rues, costumé comme un damoiseau l’eût été cinquante ans auparavant. Pendant ce temps, des générations avaient passé, et personne n’eût pu dire ce qu’avait été le brillant amant d’Angela Borgia. Des fêtes sans nombre avaient eu lieu dans ce palais d’Este : au-dessus des souterrains où gisaient les deux frères, tout le reste de la famille avait dansé, donné la comédie, discuté des plus subtiles problèmes esthétiques, philosophiques et moraux. Quand on visite Ferrare, dans ce pêle-mêle de bâtisses défaites, refaites, surchargées qu’est le palais d’Este, la seule chose peut-être qu’on trouve intacte, témoin impitoyable de ces premières années du XVIe siècle, c’est ce cul-de-basse-fosse où les deux frères d’Isabelle furent descendus en 1506. Tout le progrès n’a été que de mettre un escalier là où il y avait, autrefois, une échelle. On voit donc encore le lieu où languirent les deux princes vivans symboles de tout ce qu’il y a brutal et d’inhumain aux fondations mêmes de cette fête des yeux et de l’esprit que nous appelons la Renaissance. Mais, enfin, ils vivaient. Il est très probable qu’après les premières années, c’est dans une autre partie du donjon qu’ils furent mis : leur longévité exceptionnelle atteste qu’ils ne subissaient point de mauvais traitemens, et rien ne prouve, mais tout fait croire que ce peu de vie qui leur restait encore, ils le devaient à Isabelle d’Este.

Elle n’en obtint pas tant pour tous ceux qui lui étaient chers. Quand elle revint à Ferrare en 1508, elle trouva la Cour privée non seulement de ses deux frères, mais encore de son parent et