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cramoisi que vous pourrez trouver à Venise pour border cette sbernia, et pour l’amour de Dieu, faites toute votre diligence habituelle, car rien, je vous assure, ne peut me faire plus grand plaisir ! » On comprend ce que veut dire la devise qu’elle avait fait peindre sur ses carreaux de faïence dans sa grotta : un soleil éclatant, dardant des rayons de feu, avec les mots ; Per un dexir...

Désir de quoi ? De tout. Hors le mal, ou ce qu’elle considère comme le mal et à quoi elle ne pense même pas, il n’y a rien au monde dont elle ne soit avide et jalouse. Elle veut tout voir, tout savoir, tout pouvoir.

D’abord, tout voir. Dès qu’elle le peut, dès que son mari lui donne licence, elle appelle ses dames et ses pages, et en grand équipage, si elle est en fonds, presque seule et incognito, si ses bijoux sont au Mont-de-Piété, elle part pour voir quelque chose de nouveau dans le vaste monde : Florence ou Venise ou Rome ou Milan, ou Lyon ou la Sainte-Baume. « Maudite passion des voyages que le chef de la maison d’Este a léguée à tous les siens ! » lui écrit Baldassare Castiglione avec cette mélancolique expression que nous lui voyons, au Salon carré au Louvre, dans l’admirable portrait de Raphaël. Elle n’est rebutée ni par les mauvaises routes, ni par les tempêtes, ni par la pénurie d’argent. Les villes lointaines, les lacs, les montagnes, les couvens, les pèlerinages, tout l’attire avec les cérémonies propres à chaque pays, les fêtes, les tournois, les ateliers, les collections, les souverains illustres et leurs cours. Active, remuante, partout à la fois, partout acclamée où elle est et regrettée où elle n’est pas et pleurée quand elle n’est plus. Ce n’est pas une Italienne : c’est l’Italie en marche, et son beau profil, pensif et décidé, broche sur tous les horizons de la péninsule.

Elle voudrait beaucoup plus encore et l’idée de voir les royaumes voisins, les cours d’outre-monts et d’outre-mer la hante. Aussi quelle joie quand une de ces cours vient à elle ! Nous le voyons par ses lettres à sa belle-sœur, Elisabetta Gonzague, duchesse d’Urbino. Cette sage princesse, dont on aperçoit la face longue, pleine, un peu triste, peinte par Caroto, aux Uffizi, avait exactement ce qu’il fallait pour devenir la meilleure amie d’Isabelle d’Este : les mêmes goûts et point le même caractère. Elle était patiente, réservée, un peu lente, réceptrice plutôt