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que communicative. Une lettre qu’on écrit, c’est une main qui s’ouvre. Avec les uns, on abat un ou deux doigts, avec d’autres trois doigts, avec un seul, tout au plus, on laisse échapper cette poignée de vérités sur soi-même que la sagesse conseille de ne jamais laisser voir. Isabelle d’Este écrivait à une infinité de gens : avec sa belle-sœur, seulement, elle ouvrait la main tout entière. De retour à Mantoue, après un séjour à Milan, auprès de Louis XII et de sa Cour, elle lui écrit :


Depuis que Votre Excellence est allée à Rome, et que Rome est venue à Urbino, je ne m’étais jamais aventurée à rivaliser avec la grandeur de votre Cour, ni à prétendre que j’aie vu autant de rares et excellentes choses que vous, mais j’ai admiré Votre Altesse en silence et non sans une secrète jalousie. Mais maintenant que je suis allée à la première et à la plus noble Cour de la chrétienté, je peux hardiment non seulement rivaliser avec vous, mais vous forcer de m’envier. Il y a quelques semaines, j’ai été appelée par mon illustre seigneur à Milan, afin de rendre hommage à Sa Majesté Très Chrétienne et j’y suis arrivée la veille de la fête du Corpus Christi. Après diner et comme je me préparais à aller lui présenter mes respects, je reçus de lui un message me mandant au tournoi, sur la place où devait se tenir la giostra. J’allai donc, là, à l’heure dite et je trouvai Sa Majesté qui vint à ma rencontre sur les marches et me reçut avec la plus grande courtoisie. Toutes les dames de Milan étaient présentes et la princesse de Bisignano, de même que toute la baronnie et la noblesse de France et les grands seigneurs d’Italie, le duc de Savoie, les marquis de Mantoue et de Montferrat et tous les gouverneurs des villes du Milanais et les ambassadeurs de toutes les puissances d’Italie. Les seigneurs français sont si nombreux qu’il serait impossible de les nommer tous. Mais je dois mentionner le duc de Bourbon, notre neveu, un grand jeune homme de belle et majestueuse apparence qui ressemble extrêmement de complexion, d’yeux et de traits à sa mère (Chiara de Montpensier, sœur du marquis Gonzague et de la duchesse d’Urbino, à qui est adressée cette lettre). Si la Cour romaine est merveilleuse pour son cérémonial et son ordre, celle de France n’est pas moins étonnante et extraordinaire pour sa confusion et son désordre, à ce point qu’il est tout à fait impossible de distinguer le rang d’un homme de celui d’un autre ! Elle est aussi certainement remarquable pour sa liberté et son absence d’étiquette. À cette Cour, par exemple, les cardinaux ne sont pas traités avec plus d’honneur que ne sont les simples chapelains à Rome. Personne ne leur cède sa place, ni ne leur témoigne aucun respect particulier, depuis le Roi jusqu’au moindre. Toutefois, Sa Majesté est toujours très courtoise et déférente pour tous ceux qui s’aventurent à l’approcher, et surtout pour les dames, se levant toujours de son siège et ôtant son chapeau pour leur faire honneur. Trois fois, il est venu me rendre visite dans mes appartenions. La première fois, lorsque j’étais à dîner avec le seigneur Zoanne Giacomo Trivulzio, il a attendu mon retour plus d’une demi-heure et chaque fois il