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non pas pour sa Cour et pour les différentes nations qui y sont représentées, car je ne pourrai rien voir de plus beau que ce que j’ai vu ici, mais pour visiter les antiquités et les ruines fameuses de Rome, et pour me représenter ce qu’a dû être un triomphe d’empereur victorieux. Mais ces fêtes-ci n’ont pas été entièrement privées de cérémonies romaines, car à l’arrivée de mon ami, le très révérend cardinal et légat de San Prassede, il a été reçu par le légat de France et huit cardinaux, par tous les ordres du clergé et par des chanteurs, en grande pompe, parce que Sa Très Révérende Seigneurie a le rang du Pape qu’elle représente, de sorte que je peux dire que j’ai vu à la fois le Pape et la Cour romaine. Ensuite, j’ai fait à Sa Seigneurie deux visites, à ses appartemens, où je fus très aimablement reçue, embrassée et honorée, et je pus ainsi me rendre compte du train splendide des cardinaux qui vivent à Rome. Cette impression fut confirmée par la visite que je reçus du cardinal de Rouen et des autres cardinaux attachés à cette Cour, qui vinrent encore, non pour me rendre des honneurs, ce qui n’aurait pas été convenable de leur part, mais simplement pour me témoigner de la courtoisie. Je pourrais poursuivre et décrire toutes les visites individuelles que j’ai reçues des seigneurs italiens et français et des dames milanaises, aussi bien que du Roi et des cardinaux, mais tout ceci et le reste, je laisse à Votre Seigneurie le soin de l’imaginer, de peur que je ne vous donne trop de raisons de me jalouser !


Une ambition pourtant restait au cœur de cette pèlerine passionnée, ambition qu’on ne soupçonne guère quand on évoque l’Italie de ce temps ; derrière les vieilles tours souveraines du Castello, le désir qui rongeait le cœur de la « prima donna del mondo » était le même qui agite les petites têtes provinciales derrière les rideaux blancs, à la lecture des gazettes : voir Paris !

En septembre 1507, ayant reçu de Louis XII et d’Anne de Bretagne une invitation à visiter la cour de France et à servir de marraine au bébé qu’ils attendaient, toute son âme cosmopolite et voyageuse rayonne et, ivre de joie, elle écrit à sa belle-sœur d’Urbino :


En réponse à votre lettre, je dois reconnaître que vous avez assisté à de grandes choses à Rome et à Urbino, et que vous auriez dû en voir encore plus si Sa Majesté Catholique était venue vous visiter, ou si le sérénissime Roi des Romains avait pu entreprendre son voyage en Italie et si les Diètes n’en avaient pas décidé autrement. Mais comment pourrait-on, le moins du monde, mettre toutes ces choses en balance avec ce qui m’attend dans un avenir prochain, éclipsant de beaucoup tout ce que j’ai vu et fait dans le passé, comme c’est bien connu de Votre Seigneurie ? Voici que le Roi Très Chrétien pense que la reine ne peut pas mettre au monde un fils sans que je sois présente et qu’il m’a par conséquent priée très instamment d’être avec elle pour cet événement, afin que je puisse à la fois honorer cette naissance de ma présence et tenir l’enfant sur les