Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/421

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’est pas demeuré moins de deux ou de trois heures, conversant sur tous les sujets avec la plus grande amabilité du monde, et je n’ai pas manqué de parler avec éloge de Votre Altesse dans le cours de la conversation. Madame Margherita de San Severino, la comtesse de Musocho et quelquefois la princesse de Bisignano, qui sont très versées dans la connaissance du français, étaient nos interprètes. En dépit d’efforts répétés, je n’ai jamais réussi à trouver Sa Majesté au Castello, excepté le jour où il m’a invitée à un banquet public à la Rocchetta, où la princesse de Bisignano et moi avions l’honneur d’être assises à sa table. Nous avons dansé sans cérémonie avant et après le souper. Sa Majesté a dansé avec moi et elle a obligé à danser aussi, à notre grand amusement et ébaudissement, les cardinaux de Narbonne, de San Severino de Ferrare et de Finale, qui étaient présens au banquet.

Je ne dirai rien des spectacles publics qui ont été donnés sur la Piazza, parce que je sais qu’ils vous auront été décrits, tout au long, par votre ambassadeur. Certainement, j’ai vu des tournois mieux organisés, mais je n’ai jamais vu et je ne pense pas que, dans toute la chrétienté, il soit possible de voir un plus grand nombre et une plus grande diversité de gens. La plupart étaient des nobles, non seulement ceux de Milan, qui doit être la première ou la seconde ville du Monde, mais la Cour de France tout entière et la plupart des cours d’Italie étaient réunies là, de sorte que Votre Excellence comprendra quel fier et splendide spectacle c’était. Il y avait beaucoup plus de monde que nous n’aurions pu en voir dans le propre palais du roi de France, parce que les seigneurs qui l’ont suivi, en Italie, ne résident pas à la Cour, et s’ils y sont, par hasard, présens dans quelque cérémonie solennelle, en tout cas, nous n’aurions pas vu toute la population et les nobles de Milan et l’on peut dire de l’Italie tout entière, car les gentilshommes et les citoyens.de bien des villes diverses sont venus pour assister à ces spectacles. Oh ! que j’étais heureuse ! et combien j’en jouis encore chaque fois que je me le rappelle ! Pensez seulement ce que ce serait si Votre Seigneurie était ici, et si nous pouvions échanger nos pensées de vive voix ! J’ai écrit tout ceci pour me libérer du péché d’envie et aussi pour décrire une chose qui est excellente en dépit de son désordre. Je suis sûre que la Cour romaine ne peut pas être comparée avec la Cour de France où le temporel et le spirituel sont réunis. Si Votre Excellence avait pu voir la procession du Corpus Christi sortant du Dôme avec assez peu d’ordre : — d’abord le clergé, ensuite un nombre infini de gardes suisses, avec leurs hallebardes sur leurs épaules, derrière eux, les gentilshommes de la garde, avec leur hache d’armes à la main, et après eux, sous un dais porté par les principaux seigneurs, venait le Légat de France, portant le Saint-Sacrement, suivi par le Roi avec sept cardinaux et toute la noblesse de France et d’Italie, et le peuple de Milan et des villes voisines, — il vous aurait semblé que c’était là le plus beau spectacle auquel vous ayez jamais assisté ! Il est vrai que Votre Seigneurie peut dire : « J’ai vu Rome, » encore que vous deviez confesser que vous l’avez vue mal en point et en ruines. Mais, moi, j’ai vu Gênes, Florence et Milan, lesquelles à notre âge ne sont pas moins dignes d’admiration, et je les ai vues dans leur plus beau moment. Je ne nierai point que j’aie une grande envie de voir Rome,