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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/424

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en ce qu’ils étaient accompagnés d’un magnifique présent (les Rittrati, de Trissino). » Elle s’amuse de la figure que fait une de ses suivantes, désarçonnée par sa mule, « un pied encore à l’étrier, l’autre en l’air, » car, dit-elle, « la roule serait très ennuyeuse, si de tels accidens stupides n’arrivaient de temps à autre. » Elle s’amuse de la chétive garnison que l’Espagne tient à Rocca di Peschiera : « J’ai chevauché à travers la ville et trouvé le gouverneur du château, un capitaine espagnol qui m’a courtoisement reçue à la Rocca, où, voyant qu’il avait seulement douze ou quinze hommes de petite taille, j’ai pensé que nous l’aurions, moi et mes dames, aisément fait prisonnier, lui et ses troupes, et qu’ainsi je me serais rendue maîtresse de la place sans beaucoup de récriminations de la part du Roi de France ou de l’Empereur, puisque les Espagnols la tiennent contre tout droit... » Bien des années plus tard, devenue veuve, plus voyageuse que jamais, elle court les rues de Venise, en quête de tout ce qu’on y a construit, peint ou écrit, fatiguant toute sa suite par sa curiosité d’enfant, mettant sur les dents le bon Baldassare Castiglione, poursuivant, dans ses dernières années, ce qui a été le rêve de sa vie : tout voir.

Ensuite, tout savoir. Isabelle d’Este avait une âme écolière. Mariée depuis quatorze ans, plusieurs fois régente, elle se remettait volontiers à l’école. « J’apprends que vous en êtes encore à étudier la grammaire, lui écrit le frère Francesco Silvestri ; j’espère que quand je reviendrai vous voir, vous en serez à la rhétorique... » Elle prend des leçons de tout, interroge tous les spécialistes, est en correspondance avec tous les voyageurs. Elle reçoit des lettres d’Irlande, de Rhodes, d’Espagne, de Rome : lettres d’humanistes, lettres de chevaliers, lettres de diplomates, lettres de courtisanes, lettres de saintes, lettres de papes, lettres de nains. Ses correspondans, sachant qu’elle écoute tout, la renseignent sur tout : sur les impressions des premiers sauvages ramenés des Indes par Christophe Colomb, sur la pénitence des pèlerins au puits de Saint-Patrick, sur la toilette de Lucrèce Borgia à son mariage, sur les tableaux vivans du triomphe de Jules II, sur les hérésies de Luther, sur les éditions nouvelles d’Aide Manuce, sur les médailles de Caradosso.

Et quel moment fut jamais si propice pour une âme agitée d’une curiosité universelle ! Dans les ateliers travaillent ces trois