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grands découvreurs du visage humain : Léonard, Raphaël, Michel-Ange ; sur les mers naviguent ces trois grands dessinateurs de continens : Christophe Colomb, Vasco de Gama, Magellan. Le règne d’Isabelle d’Este commence en 1490, et ne finit qu’en 1539. Or, c’est entre 1490 et 1539 que la forme parfaite de l’académie humaine et la plus profonde expression de l’âme est trouvée. C’est entre 1490 et 1539 qu’on trouve un continent, trois océans nouveaux et que la forme du monde est, pour la première fois, entièrement dessinée par le sillage des caravelles. À peine un progrès est-il accompli qu’elle le sait, qu’elle l’acclame, qu’elle veut voir l’auteur. Dès que les compagnons de Magellan ont débarqué, elle n’a de cesse que l’un d’eux, Pigafetti, ne soit venu décrire toutes ses visions de trois années à travers des mers et des peuples inconnus, dans le petit cercle de ses camerini. On lui envoie des dessins des hommes et des chevaux trouvés dans les îles nouvellement découvertes près de la côte de Guinée ; elle s’entoure des plans et des vues de toutes les grandes villes du monde : dans ces petites chambres étroites qu’elle habite, tous les pays, toutes les mœurs, tous les costumes viennent se peindre par quelque trait. Nulle idée n’est dans l’air qu’elle ne la respire, nul bruit ne traverse le monde qu’elle ne le recueille au passage par toutes les sensibilités frémissantes et réceptrices de son âme en éveil, à l’extrême pointe de ce vieux : palais, sur le lac, comme les antennes d’un outil magique orientées pour recevoir les vibrations du monde entier.

Tout voir et tout savoir, ne lui suffit pas. Elle veut encore tout pouvoir. Non pour elle, mais pour son mari, pour son frère, pour ses fils. Et, dans l’ambition, elle est aussi violente et aussi tenace que dans la curiosité. Un jour, elle met dans sa tête que son fils Ercole soit cardinal. Il a déjà vingt ans, — il n’est que temps de l’habiller de rouge. Elle part donc pour Rome, où elle arrive au lendemain de la bataille de Pavie gagnée par son neveu le connétable de Bourbon. Elle trouve le pape Clément VII fort embarrassé de son personnage. Il était allié des Français ; les Français sont battus. Heureuse rencontre ! pense-t-elle, la peur le rendra souple, — et elle demande le chapeau pour son fils. Le Pape, sans oser refuser, se dérobe. Elle insiste. Il lui envoie du vin, du sucre, de l’huile, de l’orge, des complimens, — mais il ne lui envoie pas le chapeau. Elle