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pillent, brûlent tout. Trente mille Romains sont assassinés ou meurent de la peste. Elle s’en soucie comme d’une fève : elle a le chapeau.

Triomphante, c’est ainsi que Titien l’a représentée dans son portrait fameux qui est au musée de Vienne, plus parée qu’idole ou reine de carte, avec des perles aux oreilles et une rose de brillans piquée au milieu d’un énorme turban, qui, pour s’appeler un balzo, n’est pas moins laid que celui de Mme de Staël, puis posée en diagonale, une de ces fourrures qu’elle ordonnait d’acheter à n’importe quel prix, raide, engoncée, les manches tombant sur ses doigts, les coudes écartés, les mains sur ses genoux, comme une dame de la halle à son carreau, l’air dur et justicier. Assurément, ce portrait ne ressemble nullement à son modèle, mais il ressemble à l’idée qu’on se faisait, au loin, de la souveraine qui avait rallié tous les potentats, arbitré toutes les élégances et triomphé de toutes les factions, — selon l’impresa, qui ornait ses chambres, ce chiffre fatidique de XXVII où les initiés lisaient : vinte sette.

Car son prestige déborde de beaucoup Mantoue et même Ferrare, et c’est de tous les palais du monde qu’on regarde vers elle comme vers « l’origine et la fontaine de toutes les belles modes en Italie, » selon le mot de la reine de Pologne. Dans son courrier elle trouve constamment des lettres comme celle-ci, de Laura Bentivoglio, lui racontant une visite à Lucrèce Borgia : « Elle m’a fait asseoir et s’est informée de Votre Excellence avec une grâce charmante, me priant de la renseigner sur vos toilettes, et surtout sur vos coiffures. Ensuite, à propos de ses robes espagnoles, elle a dit que si elle avait quelque chose que vous désiriez voir ou avoir, elle vous rendrait ce service avec joie, étant très désireuse de plaire à Votre Excellence... » ou bien encore cette lettre de Lucrezia d’Este, en quittant la même belle dame : « Je l’ai trouvée étendue son lit, portant une robe de soie noire avec des manches étroites et des jabots aux poignets, et après beaucoup de caresses et de bienvenues affectueuses, elle a demandé quelles étaient les dernières modes de Mantoue, et admiré ma coiffure. J’ai promis de faire quelques toques selon notre mode et de les lui envoyer. Les rosettes que je portais sur mon front lui ont plu aussi et elle m’a priée de les montrer à un joaillier et de les lui faire copier. » Pareillement, François Ier lui fait demander une poupée de cire