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s’entête : elle s’installe chez les ennemis de Clément VII, sur le Quirinal, au palais Colonna. Le Pape croit la lasser par ses dérobades, elle jure de le lasser par son entêtement. Justement, arrive de Mantoue la nouvelle que son beau-frère, le cardinal Sigismondo Gonzague, est mort... Voilà un chapeau sans tête ! Elle court au Vatican le réclamer pour son fils. Le Pape, forcé dans son retranchement, promet, mais diffère d’agir : il remet à la prochaine promotion de cardinaux. Isabelle ne se contente pas de cet in petto. Elle ne partira que nantie.

Deux années passent : elle est toujours là, guettant le moment favorable. Elle tient une cour littéraire et ne s’ennuie pas. Cependant un gros orage s’amasse sur Rome. Charles-Quint, qui a été maintes fois trahi par Clément VII, perd patience et envoie à Rome le connétable de Bourbon avec des ordres sévères. Les Colonna profitent de la circonstance pour se révolter et prendre les armes. Douze mille lansquenets passent les Alpes. Les armées papales s’émiettent, s’évanouissent à l’horizon. On ferme les portes de Rome, on enterre les trésors. Tout le monde se trouve fort mal à son aise. Elle se trouve fort bien au sien, tranquillement établie dans la place, en face du Vatican qu’elle assiège, d’un côté, de ses réclamations, tandis que, de l’autre, son neveu, le connétable de Bourbon et son propre fils Ferrante Gonzague l’assiègent de leurs bataillons. Tous ses amis lui disent : Partez ! partez ! Elle ne part pas. Elle ne partira pas sans le chapeau. Elle a de quoi le payer et il n’est pas de Pape si obstiné que la trésorière n’ait son heure.

Le moment vient, en effet, où il faut, coûte que coûte, des soldats. Pour avoir des soldats, il faut de l’argent et, pour avoir de l’argent, le Pape n’a plus qu’un moyen, un soixante-quatrième moyen que n’avait point Panurge ; faire des cardinaux. Il s’y résigne. Il en fait cinq, à raison de quarante mille ducats chacun. Ercole est nommé ; le cardinal Pizzino vient au palais Colonna apporter le chapeau à sa mère. Maintenant, que tout arrive ! Au-dessus des murs paraissent les drapeaux noirs, blancs, rouges. Les lansquenets déferlent, furieux, ventres affamés, besaces ouvertes, prêts pour le pillage et la bamboche. De son palais barricadé, où elle a recueilli des centaines d’êtres mourans de peur, Isabelle entend le canon du château Saint-Ange tiré à toute volée par Benvenuto Cellini. Les troupes déchaînées, hors de la main des chefs, souillent,