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(la femme de Ludovic le More, Béatrice d’Este, était morte quelques années auparavant), nous pensons que cela paraîtra plutôt moins triste et montrera qu’ici du moins, nous avons de bonnes raisons de nous réjouir en cette occasion. Mais j’espère que vous consulterez messire Antonio di Costabili et messire Visconti, touchant les tentures des autres chambres, si vous ne pensez pas à propos d’en parler au duc lui-même, et que vous me ferez savoir leur opinion, car il ne me semble pas convenable que nos chambres soient nues, même si Son Excellence apporte avec elle ses propres tentures. Faites-moi aussi connaître quels sont les vins que le duc boit habituellement et quelle sorte de toilette je ferai le mieux de porter... »

D’ailleurs, elle ne doute pas de son prestige : « Que Votre Seigneurie invite hardiment le Pape à venir à Mantoue, et nous nous arrangerons pour lui faire honneur, » écrit-elle à son mari lorsque Jules II est à Pérouse avec toute la cour pontificale, ses soixante-dix-huit cardinaux. Et plus tard, son fils régnant sur Mantoue, c’est sans aucune hésitation qu’elle y invite Charles-Quint. Les deux « moitiés de Dieu » trouvaient chez elle ce que toutes leurs puissances l’assemblées n’auraient pu faire : une âme où se reflétait non seulement le meilleur de son temps, mais comme une vague image de ce que serait l’humanité dans des temps meilleurs. Ils trouvaient aussi un admirable trésor d’art, de lettres, une collection où toutes les curiosités étaient satisfaites. Isabelle d’Este le savait, et elle comptait beaucoup sur le prestige de sa Grotta pour éblouir même les yeux accoutumés aux splendeurs impériales. Il y a quatre cents ans, comme aujourd’hui, lorsqu’un souverain était reçu par un autre, l’usage voulait qu’on le menât à la chasse et qu’on lui donnât la comédie, — verser le sang des bêtes et rire des ridicules humains paraissant alors, comme aujourd’hui, le plus enviable des privilèges royaux. À ce protocole immuable, elle est la première, semble-t-il, qui ait ajouté la visite des musées. Quand le mari avait fourbu ses hôtes à courre le sanglier, au risque de se casser le cou, la femme les menait devant ses allégories mythologiques, soumettait ses symboles à leur sagacité et les obligeait à de grands efforts intellectuels : son prestige en était considérablement accru.

Ce prestige, qui ne se démentit point un instant durant toute sa longue vie poursuivie à travers tant de périls, sollicitée par