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Tout en surveillant le travail, il m’expliqua qu’il avait l’intention de s’établir pour son compte et travaillait à constituer le capital nécessaire à ce commerce. Il achetait à cet effet des coupes connues de lui, payables par annuités qu’il économisait sur son traitement. Trouvant sa proposition intéressante, je consultai mon notaire et mon banquier, qui me communiquèrent leurs tarifs d’annuités ; un polytechnicien de mes amis contrôla même leurs chiffres avec l’Annuaire du Bureau des longitudes et par ses propres calculs. Et voilà comment, après avoir convenu du prix de 2 500 francs pour la coupe et du taux de 3 pour 100 pour les intérêts, je touche chaque année 68 fr. 50 comme revenu annuel de mon bois encore sur pied. Je demanderai à mon acheteur d’appliquer à la coupe suivante le même mode de payement, pour augmenter son fonds de roulement ; j’ai en effet tout avantage à me mettre ainsi à l’abri des risques d’incendie et accidens de toute sorte, comme aussi de l’exagération des évaluations fiscales dont tous mes voisins ont été victimes. »

On voit par cet exemple que l’assimilation entre le revenu d’un taillis et l’annuité de sa coupe est incontestable, quand ce taillis fait l’objet d’une coupe unique. Les techniciens ont montré qu’il en était de même pour les taillis aménagés, c’est-à-dire exploités par parcelles successives. Il n’y a nul motif de surtaxer ce genre d’amélioration culturale quand toutes les améliorations agricoles restent indemnes. Le propriétaire fait d’ailleurs un sacrifice à l’intérêt public en aménageant sa forêt. Ce sacrifice est réel et souvent considérable ; car le propriétaire, s’astreignant ainsi à n’exploiter qu’une parcelle chaque année, s’interdit par cela même de spéculer sur son bois en vendant les coupes de plusieurs parcelles lorsque les prix sont élevés et en ajournant ses exploitations quand les prix sont avilis. L’aménagement des forêts étendues ne suffit pas d’ailleurs pour assurer à leurs propriétaires des revenus annuels, car la division par héritage d’une forêt aménagée en coupes annuelles donne à chacun des héritiers une série de parcelles dont le produit, devenu périodique, ne correspondra plus qu’à un revenu réduit par l’escompte des annuités.

Ces considérations peuvent paraître bien compliquées, et c’est le sort commun de toutes les théories sylvestres, qui ont si peu pénétré dans le public ; mais leur oubli a contribué pour