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de fidèles, et j’imagine que, de tout temps, ses « sacremens » ont été plutôt un objet de curiosité que de vraie piété.

Car il faut savoir que la religion positiviste de M. Harrison comporte une série complète de « sacremens, » comme aussi d’ « offices » solennels et de « pèlerinages. » et n’a rien de commun avec le froid positivisme « sécularisé » de Littré et de son école. C’est avec une ferveur passionnée la plus touchante du monde que le vénérable auteur des Mémoires autobiographiques s’ingénie à nous décrire la beauté poétique et la profonde signification religieuse de chacun des rites de ce culte singulier : présentation des enfans, confirmation des adolescens, destination des apprentis, commémoration des défunts, pèlerinages à la maison natale de Shakspeare, de Newton, ou encore à Paris, etc. Et tout cela, comme je l’ai dit, n’a aucun rapport avec la « philosophie positive » de Littré ; mais tout cela ne ressemble nullement, non plus, à l’authentique religion positiviste de Comte, ou plutôt, — on ne peut s’empêcher de le reconnaître, — n’y ressemble qu’à la façon d’une caricature. Au lieu de l’éducation catholique d’Auguste Comte et de son inconscient mysticisme foncier, M. Harrison et ses coreligionnaires anglais apportent à ce culte des habitudes d’esprit et de cœur qui en altèrent entièrement, irrémédiablement, la portée. En même temps qu’il s’attendrit sur la grandeur édifiante de ses « sacremens, » — qui se trouvent être surtout des occasions de conférences suivies de banquets, — et de ses « pèlerinages, » — qui ne sauraient être mieux comparés qu’aux « tournées » instructives de telle fameuse « agence de voyages, » — M. Harrison ne se fatigue pas de flétrir les « folies médiévales, » et de nous rappeler que les rites qu’il nous dépeint « évitent naturellement les grossières et monacales crudités des offices ecclésiastiques. » Le respect et l’admiration de son maître Comte à l’égard de l’Église catholique sont remplacés, chez lui, par un mélange invincible de mépris et de haine qui, en soi, n’aurait rien de divertissant, mais qui ne peut manquer de faire sourire lorsque nous le voyons s’employer à exalter des institutions et des cérémonies d’origine aussi évidemment catholique. Dans une des lettres qu’il écrivait de Rome à ses parens, il y a un demi-siècle bientôt, le futur grand prêtre de l’Eglise positiviste anglaise racontait qu’il avait refusé de se retourner pour regarder le Pape, en ajoutant que, cependant, quelque jour, il se retournerait « vers l’un de ces gaillards pour cracher sur lui. » Comment l’homme qui reproduit fièrement cette lettre de sa jeunesse aurait-il pu revêtir d’une véritable solennité religieuse le culte