Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/466

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lettres intimes. Mais on sait aussi que les mœurs anglaises sont en train de subir, depuis une dizaine d’années, une transformation très profonde, s’étendant à toutes les manifestations de la vie nationale ; et je verrais volontiers un signe nouveau de cette transformation dans la coïncidence, tout au moins singulière, qui a conduit simultanément plusieurs personnages célèbres, ces temps derniers, à se charger eux-mêmes de nous offrir, dès leur vivant, leur propre « mémoire biographique. » C’est ainsi que, à quelques semaines d’intervalle, une même librairie a fait paraître les Souvenirs d’un des premiers apôtres du socialisme en Angleterre, M. Hyndman, et ces deux volumes de M. Harrison, qui, eux, se trouvent conçus absolument sur le modèle des « mémoires biographiques » de naguère, — avec la seule différence que leur auteur, au lieu de confier à un ami ou élève la tâche de nous révéler les faits principaux de sa vie et les plus mémorables de ses lettres intimes, a entrepris de pourvoir en personne à ce couronnement obligé de sa longue carrière.

Vainement l’on chercherait, dans ces deux gros volumes, l’allure fantaisiste et le libre abandon d’une « confession » autobiographique, avec le mélange de portraits, d’anecdotes, de digressions et épisodes de toute espèce qui se retrouve plus ou moins jusque dans les Mémoires de nos hommes d’État ou de nos hommes de science, lorsque l’idée est venue à ceux-ci de nous entretenir de leur personne, au soir de leur vie. Qu’il l’ait voulu ou non, M. Harrison nous parle de soi comme nous en aurait parlé, après sa mort, le disciple expressément chargé de lui consacrer le « mémoire » qu’exigeaient inévitablement l’importance de son rôle et sa légitime illustration personnelle : ou plutôt il nous parle de soi avec une sécheresse et une froideur « objectives » que nul disciple n’aurait poussées aussi loin, ayant à nous raconter la vie d’un maître aimé, et qui ne laissent pas de nuire à l’intérêt littéraire de ses deux volumes. Un tableau complet de sa carrière, où sont étudiés tour à tour, méthodiquement, ses origines, son éducation, et les divers domaines de son « activité » professionnelle ; puis, de chapitre en chapitre, une copieuse reproduction de ses lettres, — à ses parens, à ses condisciples, à ses confrères ou amis ; — puis encore toute sorte de renseignemens bibliographiques, et en particulier une liste détaillée de tous les articles donnés par lui à des revues ou journaux, ainsi que de toutes ses conférences et allocutions publiques ou privées : voilà ce que renferme son autobiographie, sans que jamais nous le surprenions à « flâner » le long de son chemin, ni à se divertir de la tâche « documentaire »