Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/533

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bandeau que porte l’aveugle, de l’autre, elle lève la lance et va le frapper. Diane doit avoir la même part dans cette victoire. Vénus aura été à peine effleurée dans quelque partie de son costume : la mitre, la guirlande ou le voile. Pour Diane, la torche de Vénus aura brûlé ses vêtemens, mais aucune des deux déesses ne sera blessée… » A force d’y songer, le Pérugin pouvait encore figurer ce rébus, bien que les traits qu’on lui donnait comme les plus significatifs soient si peu visibles, une fois traduits en lignes et en couleurs, que l’œil n’y retrouve pas du tout ce que l’esprit y a voulu mettre. Mais que faire, quand on est un peintre d’Adorations et de « Conversations sacrées, » en recevant cet ordre de bataille : « Derrière ces quatre divinités, les chastes nymphes, suivantes de Pallas et de Diane, devront, dans les modes divers qui vous conviendront, soutenir un rude combat contre la troupe lascive des faunes, des satyres et de mille autres petits amours. » — Comment faire battre tout ce monde ? se demandait-il… Ma foi, je ferai poser un mouvement et je le répéterai chez toutes ces nymphes ! Ainsi fit-il, et devant notre tableau du Louvre, on croit assister à une manœuvre d’assouplissement militaire, lorsque tous les hommes d’un peloton lèvent le même bras pour le même geste sous l’œil d’un caporal injurieux.

Enfin, se dit le peintre, je me rattraperai sur le paysage. Erreur ! tout est prévu. De même que le stratège a donné le « mouvement » et le « point de direction » et indiqué quelles devaient être les armes, il a désigné le terrain :


Afin de donner plus d’expression à la fable et l’orner davantage, l’olivier, arbuste consacré à Pallas, surgira de terre à côté d’elle ; la chouette, son oiseau symbolique, se posera sur une des branches. Du côté de Vénus fleurira le myrte, qui est son emblème, et pour plus de charme, il faudra que l’œuvre ait pour fond un fleuve ou la mer. Les faunes, les satyres, les amours fendant les flots, portés sur des cygnes ou volant, dans les airs, accourront au secours de Cupidon, anxieux de prendre part à cette amoureuse entreprise. Sur les bords du fleuve ou sur le rivage de la mer, apparaîtront Jupiter et les autres dieux ennemis nés de la Chasteté. Le premier, changé en taureau, enlève la belle Europe, et Mercure, comme un aigle qui convoite sa proie, voltige autour de la nymphe Glaucère qui tient un cyste où sont gravés les attributs de la déesse Pallas. Polyphème, avec son œil unique, court après Galatée, Phébus poursuit la nymphe déjà changée en laurier, Pluton, qui vient d’enlever Proserpine, l’emporte dans son royaume infernal et Neptune va enlever Coronis, mais au moment même, elle est métamorphosée en corneille. Tous ces traits, je vous les envoie figurés sur un