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c’est la Sagesse victorieuse des Vices, et notre sympathie entière doit aller ? » cette garde champêtre, qui est Minerve, et les pauvres diables qu’elle bouscule doivent nous inspirer la plus profonde horreur. « La beauté est une chose sainte, » dit Bembo, dans le Cortigiano, de Baldassare Castiglione, « elle procède de Dieu. Elle est la face plaisante, joyeuse, agréable et désirable du bien, tandis que la laideur est la face obscure, fâcheuse, déplaisante et triste du mal. La beauté extérieure est le vrai signe de la beauté intérieure, — comme ès arbres la beauté des fleurs porte témoignage de la bonté des fruits. » Ainsi, d’après les deux grands amis de la marquise, Castiglione et Bembo, les pauvres gens de Mantegna, étant laids, sont des vices et bons à tuer.

De même, devant le tableau du Pérugin, devons-nous regarder à plusieurs fois avant de prendre parti : nous pourrions lâcher quelque sottise. En effet, quoi de plus odieux que ces grosses dames dévêtues, égorgeant les gracieux petits enfans qui grimpent après elles pour les embrasser ! Elles brandissent des lances contre ces pauvres mioches, qu’elles ont saisis aux cheveux, et c’est proprement, là, un massacre des Innocens… Pas du tout ! nous dit l’auteur, ces innocens sont des coupables, ce sont les Amours, les amours illégitimes, adultères, pour ne pas dire pire, et ces grosses dames sont les Vertus : c’est Pallas, c’est Diane, c’est tout ce qu’il y a de mieux au monde, — sauf la dame du milieu, qui se défend, comme elle peut, avec un grand bâton armé d’un plumeau contre l’arc de sa rivale. Celle-là, c’est Vénus, ce plumeau une torche insidieuse dont elle cherche à mettre le feu au cœur de l’innocente chasseresse…

Toute cette belle « invention » est d’Isabelle d’Este. Comme le Pérugin n’y comprenait rien, non plus que nous, elle ne lui a pas écrit moins de cinquante-trois lettres, pour la lui bien enfoncer dans la tête. Le malheureux artiste, — dont la tête était si dure si l’on en croit Vasari, — en demeurait stupide… Que faire, quand le courrier de Mantoue lui apportait, — en même temps que deux rubans lui indiquant la hauteur et la largeur du panneau à peindre, — des injonctions comme celle-ci : « Mon Invention poétique, que je désire vous voir peindre, est une bataille de la Chasteté contre l’Amour. Pallas semblera avoir vaincu l’Amour : elle a brisé sa flèche d’or et son arc d’argent et les a jetés à ses pieds. D’une main, elle le tient par le