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le soleil et la poussière, des équipes infatigables disputaient avec rage des parties sans fin et de platoniques enjeux. D’autres, comme de grands enfans, jouaient aux barres ou au cheval fondu. D’autres enfin, plus utilitaires, allaient par groupes dans la campagne, forcer à la course les ennemis de leur sommeil. Guidés par un lieutenant, dont le général en chef aurait admiré les inspirations tactiques, ils parvenaient par surprise sur quelque lot de chiens des douars et, par leurs galopades effrénées, ils obtenaient chaque jour un tableau copieux. Cette chasse à courre pédestre était un passe-temps recherché, dont les péripéties excitaient l’envie des impotens.

Dans la kasbah, les soldats du génie avaient de plus graves occupations. Jusqu’alors, Fez s’était trouvé sans communications rapides avec le monde extérieur. Les variations de la politique rendaient très dangereuse l’indépendance du général en chef, livré comme un Montcalm, un Dupleix ou un Galliéni aux funestes conseils de l’initiative et de la force toute-puissante. Un appareil de télégraphie sans fil venait d’arriver, et son installation exigeait des aménagemens compliqués, que l’emploi obligatoire de matériaux improvisés rendait plus difficiles. Des échelles de bois, ajustées bout à bout, maintenues par des cordes, formaient quatre pylônes fragiles qui s’abattaient comme des châteaux de cartes sous le souffle furieux du sirocco. Avec une patience de fourmis, les soldats recommençaient leur œuvre qui devait étendre sur la forteresse une immense harpe éolienne. En un coin obscur, sous des voûtes branlantes, un lieutenant se débattait dans le chaos du moteur à pétrole, des appareils de transmission et de réception, que le voyage à des de chameaux avait mis en piteux état ; mais, grâce à son habile persévérance, dès le 1er juillet, la liaison était établie avec l’Algérie, Marseille et la Chaouïa.

À cette époque, l’argent faisait prime sur le marché de Fez. Pour la première fois, dans leur existence errante, les coloniaux voyaient l’or français se tenir avec peine à hauteur du pair. Le Mellah était inondé de louis dont les détenteurs indigènes cherchaient à se défaire à tout prix contre des douros hassanis. Les travaux des moissons, les transactions sur les récoltes, justifiaient ce besoin immédiat de numéraire d’argent, le seul qu’acceptent les campagnards. Mais cette subite invasion de pièces d’or avait, paraît-il, une autre explication : le Sultan, disait-on,