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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/593

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égard, et aussi notre situation, comme celle de tous les Européens dans toute l’Afrique du Nord.


D’abord, il y a un fait immédiat qui domine, aujourd’hui, tous les autres : la guerre italo-turque. Nécessairement, elle devait avoir sa répercussion dans nos provinces africaines. Il fallait s’y attendre. Or notre gouvernement n’a rien prévu. Le mois dernier, au début des hostilités, quand je demandais à nos administrateurs algériens s’ils ne constataient point quelque indice de rébellion chez les Arabes, ils me répondaient avec sérénité que tout était tranquille. Les gens d’administration ont un grand défaut, c’est de se préserver soigneusement de tout contact avec ceux qu’ils administrent, cantonnés qu’ils sont dans leurs paperasses. Et puis ils manquent de poésie, je veux dire qu’ils ne dépassent point le fait présent et que les âmes sont, pour eux, un profond mystère. Pourtant, quiconque a un peu vécu avec les Arabes se délie instinctivement de la mobilité de leur caractère et de l’imprévu de ses manifestations. Chez nous autres, gens de vieille civilisation, on peut prédire presque à coup sûr, d’après des prodromes certains, la naissance et la marche d’un mouvement populaire. Avec le Barbare, on ne sait jamais. Il convient donc, avec lui, d’être toujours sur ses gardes.

Dans le cas de la guerre italo-turque, cette vigilance s’imposait particulièrement. Nul Algérien n’ignore que les nouvelles se répandent avec une rapidité déconcertante, même à travers les régions les plus désertes du Sud. Pas n’est besoin de télégraphe ni de téléphone. Et cette parole humaine, qui, de bouche en bouche, franchit si vite des distances énormes, a un effet autrement persuasif et troublant qu’un petit carré de papier placardé dans une salle de dépêches. Chemin faisant, elle traverse les cafés maures, véritables assemblées populaires, toutes frémissantes de passion, malgré leur aspect pacifique, les poses nonchalantes ou assoupies des cliens. Elle y excite des commentaires exaltés.

Qu’on s’imagine l’effet produit, en ces milieux surchauffés, par l’agression soudaine et, — il faut bien le dire, — brutale des Italiens contre Tripoli. La Tunisie et la Tripolitaine sont pays voisins. Les relations sont constantes et très étroites de