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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/600

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ancêtres. Nous ne pouvons pas plus les pénétrer que nous ne pénétrerions l’âme d’un soldat de Charlemagne ou de Godefroy de Bouillon. Le Chrétien, comme le Juif, est toujours, pour eux, l’être impur, l’ennemi de Dieu, dont on peut tout au plus tolérer la présence, mais qu’on ne doit admettre à aucun prix dans la grande famille musulmane. L’égalité des droits entre tous les hommes est, à leurs yeux, une maxime impie, dépourvue de sens. Pour empêcher l’Infidèle de commander en maître sur une terre d’Islam, tous les procédés sont bons, même les plus sauvages, même ceux dont l’usage est perdu, chez nous, depuis longtemps, et remonte aux pires époques de barbarie : le massacre en pleine paix, considéré comme moyen de gouvernement et de sanctification, les raffinemens de cruauté les plus monstrueux[1], la propagation clandestine des épidémies, l’empoisonnement des sources. Tout récemment, lors des émeutes de Tunis, on a arrêté, aux environs de Béja, des Arabes qui s’apprêtaient à corrompre les puits. En temps ordinaire, une guerre sournoise et sans trêve se poursuit contre tout ce qui touche à nos traditions et à nos croyances. Le fanatisme des masses s’acharne particulièrement contre les ruines romaines ou chrétiennes. C’est un véritable scandale pour quiconque a le respect de notre passé africain. D’un bout à l’autre de l’Algérie, à Cherchell, à Tipasa, à Tébessa, j’ai constaté le même vandalisme systématique. À Tébessa surtout, les ruines antiques sont devenues inabordables, tellement les Arabes y ont accumulé d’immondices. Une bonne moitié des remparts byzantins, la basilique chrétienne tout entière en sont couvertes. Ces vénérables reliques se désagrègent lentement, au milieu d’une pestilence insupportable.

Évidemment, les Musulmans cultivés réprouvent, devant l’Européen, ces excès du populaire : ils s’entendent si bien à flatter nos manies, surtout lorsqu’ils ont affaire à ce qu’on appelle, là-bas, un « nouveau débarqué ! » Comme les souverains étrangers, qui portent des toasts, dans nos déjeuners officiels, ils s’empressent de nous servir les clichés de notre phraséologie laïque et républicaine. Mais ils se gardent bien de

  1. Comme il est toujours bon d’être édifié sur ces matières, je signale instamment une brochure écrite avec la plus grande impartialité, au lendemain des massacres d’Adana, et qui est un tissu d’horreurs : Arméniens et Jeunes-Turcs, les Massacres de Cilicie, par A. Adossidès, Stock, Paris, 1910.