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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/620

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à l’Ami des Hommes la permission pour son neveu de répondre à sa mère. Mais, au lieu de l’accorder, le marquis ordonna au bailli de lui envoyer Pierre-Buffière incontinent à Aigueperse, sans qu’il pût prendre le temps de faire ses adieux à sa sœur et à son beau-frère de Cabris. Il fut ponctuellement obéi… Pierre-Buffière quitta le château de Mirabeau à la dérobée, au petit jour ; et ce fut seulement d’Aix, en y arrivant, qu’il écrivit à Louise une lettre d’explications confuses et sommaires. Le motif de cette brusque séparation se devine : l’Ami des Hommes avait pris peur. Il supposait, non sans raison, que la lettre de sa femme au bailli avait été écrite à l’instigation de Louise, et que c’était l’amorce d’une ligue nouvelle contre sa liaison avec Mme de Pailly. Il brisait cela net, en évitant à Pierre-Buffière les faiblesses et les engagemens d’un dernier entretien avec sa sœur.

A cet instant, si Louise et son frère se sont trop aimés, quels vont être le désespoir et l’anxiété, les plaintes et les reproches de la délaissée ! N’en trahira-t-elle rien dans ses premières effusions ? écrira-t-elle au fugitif sans déceler au moins un doute, une surprise de passion alarmée ? Mais non, Louise répond tout de suite au billet que Pierre-Buffière lui a dépêché d’Aix ; et c’est d’abord, il va de soi, pour s’étonner et s’affliger de sa disparition inattendue ; mais elle reprend aussitôt avec lui, sur un ton charmant de confiance et de liberté, la suite de leurs propos interrompus. Voici cette lettre. Il y désigne M. du Saillant, elle M, ne de Pailly, et l’initiale V, ou l’expression notre estimable amie, la demoiselle de Saintes :


De Mirabeau, ce 24 août 1770.

Tu demandes si je pense à toi, mon bon et tendre ami. J’y pense, et cela même pour te faire le petit reproche d’être parti sans me le dire.

Cependant, tu as agi sagement d’épargner des adieux qui n’auraient pu être que pénibles. Mais du moment que mon oncle m’eut dit ton départ, il me vint cent choses dans l’idée qu’il me semblait avoir oublié de te dire. Ta lettre d’Aix m’a fait autant de plaisir que tu peux l’imaginer… Je ne peux pas trop t’expliquer ce que j’ai été depuis hier, presque toujours dans ma chambre. Mon mari me dit qu’il était fâché de ne t’avoir pas embrassé, je l’étais bien plus que lui encore. J’ai beau lui parler, il ne peut jamais être que mon mari. Tu m’entends : je ne peux mettre mon âme en liberté je ne trouve rien pour lui tenir tête. Tu m’as fait grand mal, mon cher ami, t’en serais-tu douté ? Je ne dis pas comme Mlle de M*** : « Je me marierai si vous me trouvez un homme comme mon frère. » Mais je dis :