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l’éloignement. Un engagement de quatre ans, la prohibition de la famille, l’existence sous la tente, des congés rares, ne semblent pas assez payés par une solde avantageuse mais précaire, par la décoration des ordres de Moulay-Hafid, et surtout par un effacement militaire que la transformation prochaine du régime politique fait prévoir imminent. Si la destinée du pays s’accomplit selon les désirs de la France, l’armée régulière dans un État indépendant rêvée par les instructeurs de la mehallah ne sera plus qu’une troupe de parade analogue à la garde beylicale de Tunis. Et cette évolution inévitable ne plaît pas aux juvéniles ardeurs.

Dans les souks de la capitale, où les marchands roses et ventrus parlent politique en mangeant des pastèques et des raisins, l’incapacité du souverain, ses intrigues puériles où sombrait l’autonomie apparente du Maroc, laissaient la population désormais indifférente. Nos soldats pouvaient circuler librement, et la froideur énigmatique des indigènes s’accommodait de leur exubérance et de leur générosité. Quelques bourgeois entr’ouvraient leurs logis aux officiers qui semblaient jusqu’alors voués aux seules amabilités hébraïques. Ils les conviaient au cousscouss, au tagin égayés par les pas étudiés de danseuses grasses et les mélodies lancinantes d’un crin-crin. Ils étaient prudens et réservés dans leurs conversations et, dédaignant les commentaires sur les combinaisons des chancelleries, ils louaient la tranquillité des routes, la reprise des affaires, l’honnêteté de nos caporaux d’ordinaire et la probité de nos Intendans. De plus en plus nombreux, ils se réclamaient du Consul de France dont l’urbanité, l’habileté, l’influence les captivaient. Nous étions forts, ils venaient vers nous.

Dans la campagne, les douars reparaissaient. Dès les premières lueurs de l’aube, de longues files de bourricots, de chameaux, circulaient sur les routes. Les paysans cultivaient leurs champs autour de nos bivouacs, et les soldats discutaient avec passion sur leurs outils et leurs procédés agricoles. Mais, vers le Sud, dans la direction de Sefrou, la leçon de Bahlil semblait déjà oubliée. Le Sultan s’effrayait des vagues rassemblemens de maraudeurs qui paraissaient être le prélude d’une insurrection nouvelle, et tentait en vain de communiquer sa nervosité à notre Service des renseignemens. Sans être parfaite, la sécurité des chemins n’était guère plus troublée que sur les