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desseins et de ses rêves. Les effusions amoureuses y tenaient une grande place, il va de soi ; mais le tour en aurait été assez banal sans un élément inattendu qui en renouvelait l’intérêt. Revivant en pensée les récens plaisirs de ses parties carrées à Genève, à la Balme, à Lyon, où il est admissible que, dans cette saison chaude, Louise eût imprudemment négligé de retenir devant lui un dernier voile de pudeur ; inspiré aussi, c’est probable, par d’indiscrètes confidences de Briançon sur les attraits particuliers de sa maîtresse, Mirabeau s’était trouvé, en outre, incité par Sophie elle-même, qui lui avait fait des confidences analogues, à lui dépeindre Mme de Cabris comme une dépravée, à lui tracer des charmes les plus intimes de cette sœur trop belle la description la moins réservée, à lui exprimer enfin des remords d’avoir porté jusqu’au crime sa passion pour elle. Ce n’était là qu’une de ces impostures dont il fut longtemps coutumier et qui toutes ont eu pour cause première un accès de sa folie physique, un désordre de ce que son apologiste et fils adoptif, Lucas de Montigny, a nommé « le fatal phénomène de sa constitution. » Ce monstre exaspéré par la solitude, cet Hercule consumé par son feu intérieur, ne surmontait l’effervescence de son imagination qu’en en décrivant les délires ; et il se complaisait dans ces peintures avec l’abandon, la faiblesse, le bizarre amour-propre mi-chagrin et mi-vaniteux d’un malade ; qui se croit un être supérieur parce que son mal est exceptionnel. Ce Mirabeau-là, plutôt soupçonné que connu, n’a pas été assez étudié ; cette étude changerait en pitié toute notre aversion.

Mais ne retiendrons-nous rien de sa fausse confidence ? Toujours s’est retrouvé, au fond de ses fables, comme un résidu de vérité qui servait à les soutenir et à les accréditer. L’imagination de Mirabeau ne créait pas ; elle cousait le plus souvent des lambeaux d’emprunt, souvent disparates, sur une trame quelconque, en suivant le dessin que lui fournissaient l’occasion ou son intérêt à mentir. Ainsi, de cette lettre coupable à Sophie, il est à propos de retenir un portrait de Mme de Cabris peu flatté, mais encore très ressemblant. Tantôt Mirabeau présentait à Sophie, sous les traits adorables de sa sœur, les perfections qu’il souhaitait de lui voir acquérir ; et tantôt, pour mieux faire l’éloge de Sophie, il lui dénigrait Louise. Nous avons déjà reproduit l’image séduisante ; voici l’autre face de Mme de Cabris. Après avoir loué sa bouche « encore superbe, » son