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paysannerie, il y a du moins une espérance, en tout cas un vœu, et même un germe de résolution, en tout cas une aspiration ou une tendance. La résolution s’accentue, et se ponctue d’un geste révolutionnaire, avec l’Arlequin-Deucalion, de Piron (1722). Le nouveau, — et étrange, — Deucalion jette des cailloux pour créer des hommes, et quand le laboureur paraît, il lui dit : « Tu es mon aîné, et le premier de ces drôles-là, comme le plus nécessaire à leur vie. Laboure ; en profitant de ta peine, ils te mépriseront ; moque-toi d’eux,… vis et meurs dans l’innocence ; » à l’artisan : « Serviteur à monsieur l’artisan. Marche après ton aîné, toi, comme le siècle d’argent suivit le siècle d’or. Il sera nécessaire, tu ne seras qu’utile. Vivant dans les villes, tu seras plus près de la corruption ; ne l’y laisse pas aller : travaille en conscience et vends de même, tu seras heureux. » A l’homme d’épée qui paraît ensuite, il jette à bas son chapeau en lui disant : « Chapeau bas devant ton père, quand tes deux aînés sont dans leur devoir. » Et cette dernière phrase a tout l’air de venir d’une coutume du compagnonnage. Mais d’où qu’elle vienne, il n’importe ; l’important est que, dans ce petit morceau, et dans ce morceau du genre léger, — monologue en trois actes et en vers, — la hiérarchie sociale est renversée. Où est le classement des conditions et professions, tel que le fixèrent Jean Domat ou Charles Loyseau[1] ?

Voilà le ton. Le reste est à l’avenant, le roman comme le théâtre, et la littérature philosophique ou grave ou sérieuse comme la littérature facile. J’ai déjà dit ce qu’il y a chez Pascal, chez La Bruyère, chez. Fénelon, chez les premiers économistes : une certaine impatience de l’inégalité, un commencement de réhabilitation des arts mécaniques. J’ai dit aussi, antérieurement, ce qu’il y a dans l’Esprit des lois. Il y a l’amorce d’une apologie du travail ; il y a, en germe ou en puissance, et le droit de travailler et le droit de choisir librement son travail ; il y a le droit à l’assistance contre l’invalidité et contre la vieillesse ; et peut-être un peu plus encore. Il y a un aperçu, du reste erroné, une échappée de vue plutôt, sur le rôle futur des machines et les maux qui en découleraient. Il y a le pressentiment, sinon la préoccupation des questions naissantes ou à naître qui seraient les questions du lendemain. Je ne crois pas

  1. Pour toute cette partie, je me suis beaucoup servi de l’excellent ouvrage de M. André Lichtenberger : le Socialisme au XVIIIe siècle.