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ventilateur ne renouvelait un air saturé de chaleur lourde ; nul morceau de glace ne rafraîchissait les tempes brûlantes ; nulle femme, laïque ou religieuse, ne mettait un sourire maternel dans les visions délirantes ; nul prêtre ne se penchait pour dire des paroles consolatrices et recueillir les dernières pensées des mourans.

Deux médecins usaient leurs forces et leur dévouement auprès des pauvres corps que l’anémie extrême, le paludisme, la dysenterie, la fièvre typhoïde, transformaient en loques douloureuses et minables. Inauguré avec une trentaine de lits, trois semaines à peine suffisaient pour y élever à 140 le nombre des hospitalisés. Et chaque jour, soit amenées sur des brancards, soit portées par leurs jambes flageolantes, de nouvelles épaves humaines venaient remplacer les morts de la veille et les rescapés du matin. Des salles trop petites, les couchettes improvisées débordaient dans les cours hâtivement couvertes de toiles ; trois ou quatre douzaines de typhiques se succédaient dans l’unique baignoire ; et l’on ne songeait pas sans angoisses aux conséquences de la maladie probable qui abattrait à son tour un des deux médecins traitans.

Avec un zèle admirable, ils se prodiguaient sans se plaindre, mais leur science et leur abnégation ne pouvaient parfois suppléer au défaut d’outillage, de médicamens et de personnel. Les apothicaires indigènes de la ville ravitaillaient quelques bocaux de la pharmacie ; des convalescens bénévoles remplaçaient les secrétaires et les infirmiers exténués ; les artisans maures confectionnaient un matériel de fortune ; une banque civile acceptait la garantie de noire consul et consentait une avance de fonds pour la nourriture des malades et l’entretien de l’hôpital, que sollicitait le médecin-chef après avoir épuisé ses ressources personnelles et celles de ses collaborateurs. Mais ces palliatifs insuffisans ne nous donnaient pas une formation sanitaire digne de la science contemporaine, d’une nation riche et d’une armée puissante. On se croyait transporté aux siècles précédons, au temps des Bugeaud, des Villars ou des Montluc. On ne songeait pas sans colère et sans douleur à l’inutilité des enseignemens livresques, au contraste de nos misérables moyens et du luxe médical des Russes et des Japonais pendant une guerre en comparaison de laquelle notre expédition marocaine est un jeu d’enfans.