Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la nouvelle ligne d’étapes, comptaient encore 3 000 hommes environ, auraient dû revenir à Fez où le Sultan les attendait impatiemment. Or, les projets primitifs d’une revue à grand spectacle pour le 14 juillet, suivie d’une expédition définitive vers Sefrou visé par les Aït-Ioussis toujours rebelles, étaient devenus gênans pour notre diplomatie. L’objectif avoué de notre intervention était atteint depuis longtemps : nous avions débloqué Fez, délivré les colonies européennes, rétabli l’autorité de Moulay-Hafid en détruisant le pouvoir éphémère de Moulay-Zin. Nos troupes continuaient pourtant à sillonner en tous sens le Maroc et leur action semblait servir une politique nouvelle. Profitant des circonstances, l’Allemagne faisait entrer aussi la sienne dans une phase inopinée. Des questions qu’il était difficile de résoudre sur place se posaient dans les esprits. Quoi qu’il en fût, nos troupes restaient immobilisées à Meknès. Le pacha de la ville, dûment stylé par un de ses conseillers, protégé allemand, se hâta d’exploiter notre sage réserve. Il n’était pas le seul : les agens du Maghzen tissaient autour de nos demandes un tissu d’impossibilités. C’était notre hôpital, à l’étroit dans une maison indigène, dont les refus de location d’immeubles voisins et inhabités empêchaient l’agrandissement ; c’étaient nos soldats privés d’une paille de couchage qu’on ne pouvait obliger les paysans des alentours à vendre ; c’étaient nos bivouacs installés sur un sol de sable et de détritus, dans une atmosphère de poussière et de miasmes, à côté des immenses bâtimens de l’Aguedal et de Dar Beïda qu’on n’osait utiliser ; c’étaient les roseaux, les tiges d’aloès, innombrables dans la campagne environnante, qui auraient donné les matériaux pour la construction d’abris provisoires plus confortables que la petite tente, et qu’on déclarait gravement intangibles et sacrés. Devant cette ville que nous avions sauvée, six semaines auparavant, du pillage et du massacre, nous campions inertes et timides, voués aux ricanemens des « bouchaïds » et des « meskins, » aux voleries effrontées des mercantis, aux ironiques objections d’un pacha.

Un jeune ménage parisien, M. et Mme de la Charrière, qui accomplissait au Maroc un voyage de noces peu banal, s’en étonnait ingénument. Après une tournée dans la région de Taroudout, le zélé secrétaire du comité de l’Afrique française et sa femme étaient venus dans la zone d’opération et suivaient