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« J’ai lu, lui avait-il écrit, un article de la Revue qui me prouve que vous comprenez les vieux de la vieille, » et il lui avait offert de lui communiquer d’assez curieux documens sur la capitulation de Soissons en 1814. Houssaye accepta, pensant simplement trouver la matière à une courte étude qui ne l’arracherait que pour quelques semaines à un livre projeté sur La loi agraire à Sparte.

La capitulation de Soissons est un des événemens capitaux de>la campagne de 1814 : le général qui commandait dans cette ville, — un Moreau, — eût attendu quelques heures avant de rendre la place, que le sort de la campagne changeait et par conséquent, — qui sait ? — le sort de l’Europe. Houssaye en resta saisi. Pour situer l’événement, il étudia grosso modo la campagne. Il lui parut qu’elle était à récrire. Il ne pensa pas à le faire, mais voulut en avoir le cœur net. Pour la première fois, il alla aux Archives. « Lorsque je lus et palpai ces papiers écrits de la main même des acteurs du drame, disait-il, et dont certains griffonnés sur le champ de bataille semblaient encore sentir l’enivrante fumée de la poudre, j’ai subi une sorte d’hallucination : je les voyais apparaître. Le garçon de salle dut m’avertir que l’on fermait, car, perdu dans mon rêve, je n’avais plus la notion de ce qui m’entourait. »

Il revint aux Archives, il y dévora avidement des papiers. Il y évoqua des ombres. Au-dessus de toutes les autres s’en dressait une : celle de l’Empereur. Elle ne l’avait pas hanté jusque-là. Il avait toujours rendu hommage au génie : il ne semble pas que, sauf lorsqu’il avait feuilleté Coignet, il eût senti battre son cœur pour le grand homme. Depuis 1871, la figure de Napoléon subissait une éclipse, pâlissant fort injustement, aux yeux mêmes des patriotes, de l’effroyable aventure où venait de tomber la dynastie impériale et où la France avait failli sombrer avec elle.

Ce fut chez Houssaye cependant le patriote qui s’émut. En 1814, l’Empereur ne lui apparut point tel qu’il était aux yeux de tant de gens : « l’incorrigible guerrier » de Thiers menant par sa manie guerrière la France aux abîmes. Napoléon n’avait été, en 1814, que le défenseur du sol envahi. Contre l’Europe entière il l’avait disputé pied à pied, pouce par pouce, au prix d’un miraculeux effort ; et derrière lui, l’historien apercevait, le soutenant, l’acclamant, mettant en lui leurs espoirs, les petites gens de France, paysans, ouvriers, troupiers. Ce n’était