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plateaux de Tiflet, où une grosse garnison panachée s’installait « pour surveiller les Zaërs. »

Dans les postes de la route d’étapes, une fantaisie capricieuse avait composé les détachemens d’occupation. Les traditions, les aptitudes particulières aux principales troupes du corps expéditionnaire s’y affirmaient avec leurs différences, profondes comme des abîmes : « Vous autres, coloniaux, vous aimez le confortable, » était la critique initiale posée comme un axiome par les officiers « africains » dans les discussions de principes avec leurs camarades, marsouins ou bigors. Quant à eux, ils restaient fidèles, sans doute à l’excès, à d’anciennes habitudes, et c’était la cause entre les coloniaux et eux de critiques sans fin dans lesquelles nous ne voulons pas entrer ici. Pittoresques entre tous étaient les tirailleurs sénégalais. Leur réputation de combattans n’est plus à faire après l’épopée de leurs triomphes sur des adversaires tels que Ahmadou, Behanzin, Samory, Rabah et Doudmourah. Ils marchent et bataillent aussi bien que le meilleur soldat du monde ; mais, à la rusticité du noir, ils ajoutent la souplesse assimilatrice de leurs instructeurs coloniaux. En quelques jours, sur le terrain caillouteux où doit s’élever un poste délimité par une tranchée sans prétention, ils font jaillir un village original et coquet. Si le bois manque, les stipes d’aloès forment des charpentes solides et légères. A défaut d’outils, les « frouches » des branches, ou des liens de fibres, de ficelles, de fils de fer arrachés aux vieux récipiens de l’administration, assurent les assemblages ; la paille d’un champ voisin, l’herbe sèche d’une « daya » donnent la toiture et les murs, impénétrables aux pluies les plus violentes comme aux soleils les plus ardens. Le ruisseau qui serpente au fond du ravin s’étale dans des bassins hiérarchiquement étages, d’amont en aval, pour les tirailleurs, les chevaux, les chameaux et les blanchisseuses. Un suintement dans la berge est fouillé, aménagé, s’orne d’un tuyau en fer-blanc découpé dans une caisse à farine, et devient une fontaine jaillissante réservée aux Européens. Un jardin potager se développe au bord de l’eau ; d’un four construit avec des briques crues sort, pour les grades français, le pain frais quotidien. Pendant les heures chaudes, où le guerrier le plus farouche est inactif, l’école mutuelle rapproche chefs et soldats. Aussi faut-il s’attendre à voir les tirailleurs sénégalais rendre de grands services. L’œuvre de pacification