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dans un ravin, derrière un buisson, au pied d’un mur, la balle qui met fin brusquement à leur obscure et changeante existence.

Les coloniaux proprement dits, marsouins et bigors, essaiment dans nos colonies les cadres de toutes nos formations indigènes, qu’ils pétrissent à leur image. Ils pourraient prendre pour devise : immobiles dans la mobilité, car leur rêve est, en général, de passer tout le temps réglementaire de séjour outre-mer sur le coin de terre où le sort les envoie. Ils s’attachent au poste qu’ils ont fondé ; perfectionnent ou complètent avec tendresse l’œuvre de leurs devanciers. Au mépris traditionnel de notre race pour les fossés, les parapets et autres scientifiques manigances, ils joignent une adresse manuelle de « maîtres-Jacques » et l’amour des aménagemens ingénieux et simples qui caractérise la Légion. Mais ils ont, en outre, deux passions impérieuses : l’école et le marché. Un vrai colonial ne serait pas heureux si quelques douzaines de marmots noirs, jaunes ou bruns, ne zézayaient pas, dans une case en torchis et couverte en paillottes, les élémens du français qu’un instituteur bénévole, recruté dans la garnison, enseigne avec patience. Le marché, enfin, aligne ses hangars sur la place du village, et devient promptement un centre d’affaires achalandé, que des chemins nombreux, bien entretenus, pourvus de ponts rustiques, rendent accessible en toute saison. Le chef se plaît dans ses bâtisses, entre sa briqueterie et ses fours à chaux ; il administre, commande, surveille la justice indigène, réprime l’avidité des notables, et le « régime militaire » si décrié n’est, en réalité, qu’une autorité patriarcale acceptée sans résistance par tous. Dans leurs fréquentes tournées, officiers et sous-officiers parviennent à connaître les moindres sentiers, les principales familles de la région ; ils étendent partout notre protection tutélaire, le charme de notre humeur facile et de notre simplicité. Les vieux chevronnés règnent dans les annexes de la ferme modèle qu’est un poste colonial ; ils y retrouvent leurs occupations de paysans et d’ouvriers. Ils jouent avec les enfans, plaisantent avec les femmes, bavardent avec les hommes, fondent parfois une famille et se font alors libérer dans une région qu’ils aiment, où ils sont connus, et dont ils deviennent les premiers colons.

Des trois postes qui jalonnaient la route de Meknès à Rabat, Tiflet était le plus important. C’était aussi celui où, malgré