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avec l’ardeur et la foi d’apôtres, ils citent, pour les gagner à la cause, des faits de bravoure et d’héroïsme effarans, dont les sceptiques ont pu voir à Rabat un impressionnant exemple : des tirailleurs sénégalais montaient la garde autour du fort allemand pour éloigner les curieux et les indiscrets pendant la destruction des poudres qui se termina par une catastrophe récente ; sous la poussée de l’explosion, ils sont renversés ; sans émotion apparente, ils ramassent leurs armes, se relèvent, et reprennent au pas cadencé leur faction.

Ils ne sont pourtant pas très satisfaits de leur séjour au Maroc, les braves Sénégalais. Le régime patriarcal n’y est pas en honneur, et leur organisation familiale a paru contraire aux plus vaines traditions. La surprise fut grande à Casablanca, lorsqu’on vit débarquer les bataillons avec leur cortège de « moussos » et d’enfans : « On n’est plus au temps des Huns ou des Tartares, pour aller ainsi en guerre, et la place des familles n’est pas prévue dans les ordres de marche, » remarquaient aigrement des militaires pointilleux. Et ces femmes, dont plusieurs avaient fait dans nos rangs le coup de feu pour remplacer leurs maris blessés, qui avaient pris part à nos randonnées dans les immensités du Centre africain, jugées inutiles et encombrantes, ne sont pas autorisées à jouer, derrière nos colonnes, leur rôle habituel de cuisines roulantes, sur les pistes relativement courtes du pays marocain. Au Camp Monod, comme à Sidi-Gueddar, à Fez, à Meknès, les tirailleurs sénégalais obligés de souscrire une délégation pour l’entretien de leur ménage disloqué, déracinés de leurs coutumes, privés de la vie de famille, regrettent leurs postes lointains du Niger ou du Ouadaï, et ne parlent plus de « rengager. »

Le 10 août, dans la nuit étoilée, les troupes quittent leur bivouac. C’est la dernière étape vers Rabat, et la traversée de l’oued Bou-Regreg promet une arrivée tardive. Mais les loustics ont semé dans les rangs des prévisions rassurantes : des bateaux sont en rade, attendant batterie et bataillons, qui seront embarqués aussitôt pour Casablanca, et peut-être même pour la France. Et les naïfs, les désabusés, les éclopés, qui, malgré les démentis répétés de l’expérience, éprouvent toujours le besoin de se raccrocher à quelque consolant espoir, bénissent l’autorité prévoyante dont la sollicitude les séduit. La brise qui passe, légère, emporte avec des senteurs d’Océan des refrains allègres de