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de velum au-dessus duquel j’entrevois des femmes préparant le couscouss, des brebis et un veau.

Nous nous asseyons les jambes croisées, — en tailleur, — dans la partie de la tente qui sert maintenant de salon pour devenir tout à l’heure la salle à manger. Un Zaër monté sur une mule est allé chercher au fond du ravin un grand mouton roux qu’on me présente, pour le mettre à mort aussitôt après et le dépouiller.

En attendant que le repas soit prêt, mon hôte prépare devant nous, sur un réchaud, ce bon thé à la menthe très sucré, que les Marocains boivent à toute heure de la journée. Il me présente ses deux fils : l’aîné et Mati est marié et rangé ; le plus jeune Salam, qui a dix-sept ans, court toutes les nuits et va voler du bétail ou des chevaux dans la tribu voisine. Zahra, une aïeule au dos courbé, passe et repasse devant la tente : « Tu serais mieux sous la terre maintenant que tu n’as plus la force de travailler, » lui dit peu galamment mon hôte. Zahra, comme toutes les vieilles Marocaines, a une expression aigrie et haineuse qui contraste avec la physionomie avenante des jeunes femmes qui se montrent autour de nous à visage découvert. Elles seraient jolies, si le hâle et le henné n’avaient par trop bruni leur peau, et si le rude labeur qui leur est imposé n’avait amaigri leurs visages et leurs corps souples et nerveux.

Nous sommes chez des propriétaires qui cultivent leurs champs et élèvent du bétail. Ils ne quittent presque jamais leur terre : je me demande pourquoi, dans ces conditions, ils ne préfèrent pas à la tente un gourbi ou une maison, qui les protégeraient mieux des ardeurs du soleil ou du froid. Il est vrai que la tente permet à ses habitans de rester très mobiles, de se dérober par la fuite après un mauvais coup, de dissimuler leur présence dans un pays où il faut éviter d’attirer l’attention de la tribu pillarde qui passe, ou des fonctionnaires du maghzen récoltant l’impôt.

Mes hôtes sont dans une situation aisée : l’année est bonne, le bétail et le grain vont donner une plus-value sensible, mais chez les nomades on ne fait pas d’économies, on dépense au jour le jour l’argent qui rentre. On se nourrira bien, on achètera des armes de luxe, on renouvellera la provision de cartouches, et si, l’an prochain, la récolte est mauvaise, on se résignera à faire maigre chère. Ces alternatives de prospérité et de