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l’exhortait à tenir une conduite plus prudente hors de sa patrie que dedans, car son père le poursuivrait et saurait le saisir partout. Elle lui renvoya aussi ce qu’il réclamait, hormis les papiers. C’étaient principalement des lettres qu’il avait échangées avec Sophie depuis le début de leurs tribulations, et que ne voulant ni détruire ni exposer sur lui aux risques d’une arrestation, il avait confiées à Louise en quittant Lyon. Louise s’y trouvait trop compromise pour s’en défaire juste à l’heure où le souci de sa propre sûreté lui commandait de nier hautement qu’elle eût pris aucune part au rapt de Sophie. Mirabeau, on l’entend, cria à l’infidélité. Assuré par la réponse de sa sœur qu’elle ne savait rien de l’affreuse imputation dont il l’avait noircie, il n’hésita pas à lui reprocher en particulier un important mécompte d’environ 170 louis ; puis il leva le camp, le 15 septembre au soir, sans attendre des explications qui ne devaient, au reste, jamais lui être fournies, attendu que la lettre par laquelle il les exigeait s’en était allée, elle aussi, grossir le dossier de l’Ami des Hommes, à présent formidable. Et cet heureux père, — car il se réjouissait de tout ce qui pouvait accabler ses enfans rebelles, — se disposait d’ores et déjà à en faire un usage conforme à ce qu’il appelait ses « idées finales. »

Ces idées-là tendaient de plus en plus droit à la réclusion de Louise par lettre de cachet. La capture de Mirabeau passait au second plan. Provisoirement, le marquis de Mirabeau n’avait plus rien à redouter, calculait-il, d’un homme que le bruit de son crime obligeait, où qu’il fût, à faire le mort ; au contraire, Louise demeurait libre de l’attaquer de face ou par derrière, tant que la puissance maritale la protégeait. Il s’agissait donc de faire interdire M. de Cabris pour démence et de confier sa curatelle à toute autre qu’à sa femme. Alors celle-ci retomberait, comme mineure, sous la puissance paternelle, et l’Ami des Hommes se flattait qu’elle ne lui échapperait plus. En attendant que cette procédure fût entamée, un bon moyen de paralyser Louise était de la faire [inculper de complicité, avec Briançon, dans les méfaits de son frère : rapt d’une femme mariée et vols d’argent et d’effets au préjudice du mari trompé. Une sœur de Sophie, la chanoinesse de Ruffey, en prit l’initiative. Elle s’en vint à Lyon supplier le lieutenant criminel d’ouvrir une information d’office contre Mme de Cabris.