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Mais, comme dit le fabuliste, « tel cuide engeigner autrui qui souvent s’engeigne lui-même. » L’Ami des Hommes avait espéré que cette offensive donnerait au moins assez de fil à retordre à sa fille pour le débarrasser d’elle pendant quelque temps. L’effet immédiat fut tout contraire. Pour échapper aux interrogatoires et rompre des coups dangereux, Louise abandonna le couvent de la Déserte et vint se réfugier dans celui de sa mère, à Paris. Elle aurait pu, semble-t-il, pour plus de sécurité, rejoindre son mari au château de Cabris. Mais on n’y désirait pas son retour, et elle y aurait trouvé divers désagrémens, tels qu’un arrêt, prononcé sur ces entrefaites, le 2 octobre, qui la condamnait à des réparations très humiliantes envers le baron de Villeneuve-Mouans. Son frère, ainsi que M. de Briançon et la tante de celui-ci, Mme de la Tour-Roumoules, sous les yeux de laquelle s’était produite l’agression de Mirabeau, n’étaient pas condamnés moins sévèrement par cette sentence rendue « nonobstant opposition et appellation quelconques. »


V. — L’IMPOSTURE DESAVOUEE

La marquise de Mirabeau vivait à l’abbaye royale de Saint-Antoine, dans une demi-réclusion non dépourvue de commodités. Elle y voyait beaucoup de monde ; elle en sortait même quelquefois pour aller visiter ses juges, en compagnie de son chevalier servant, un certain marquis de Lanséguë, ancien conseiller au parlement de Toulouse et petit-fils de Campistron. Lanséguë mangeait d’ordinaire avec elle, à sa grille. Briançon, que la marquise appelait « mon gendre, » y eut désormais aussi son couvert. Cela faisait comme un petit conseil de famille siégeant en permanence. Mais l’accord était loin d’y régner. Les assiduités affichées de Lanséguë déplaisaient à Louise. Elle reprochait de plus à cet ancien magistrat de pousser sa mère à des violences inutilement tapageuses et de ne lui donner pour avocats et conseils que des hommes jeunes, inexpérimentés, désireux-pardessus tout de faire un éclat sur leurs noms obscurs. Une transaction entre ses parens, conclue sans bruit, hors du Palais, n’eût-elle pas été plus avantageuse en tous sens ? C’était l’évidence même. D’ailleurs, Louise entendait amener toute seule un tel accommodement, en tenant la balance égale entre les