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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/897

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naturel de ma fille encore mineure, et que j’ai droit de demander qu’elle soit renvoyée d’un train de vie déshonorant aux mesures consenties par son mari. Voilà une nouvelle besogne entamée entre tant d’autres. Heureusement que m’en tenant toujours dans mon idée à mon point radical, je n’ai pas perdu de vue les démarches de cette femme, et j’ai même toujours tenté, quoiqu’en vain, de remuer la famille (de Cabris)… Je n’espère pas trop rien tirer de cette famille qui n’est qu’un détachement battu. Mais au moins faut-il nécessairement parer à un coup de Jarnac très possible. Cette femme est assez remuante et son mari assez imbécile pour qu’elle en pût tirer quelque lettre qui autorisât son séjour ici, auquel cas je n’aurais rien à dire, et nous ne jouirions jamais d’aucune sorte de repos ni d’honneur.


Louise s’attendait, en effet, à recevoir d’un jour à l’autre une telle autorisation de son mari : elle la lui avait demandée ; mais elle se croyait assez couverte déjà par une lettre datée du 31 mars 1776, veille de sa séparation d’avec lui, dans laquelle M. de Cabris la pressait instamment d’aller vivre auprès de sa mère persécutée et malade, à Paris : « Vous y seriez, lui disait-il, plus décemment qu’à Lyon. » Elle ne ralentit donc pas ses démarches, au contraire. Le 4 juin, dans une scène orageuse, elle fit violence à sa mère et lui arracha sa procuration générale. A peine l’eut-elle obtenue qu’elle en usa, avec une habileté et une sagesse supérieures, pour faire place nette, écarter tous les conseillers de violence, et révoquer, annuler, toutes les plaintes que la marquise avait portées contre l’Ami des Hommes à l’occasion de son brutal enlèvement du domicile conjugal où les juges l’avaient renvoyée. Louise signifia ces actes à tous les intéressés le 6 juin ; et le 7, ce brin d’olivier dans la main, elle invita le lieutenant de police, M. Lenoir, à soumettre au marquis de Mirabeau un projet d’accommodement qui ne stipulait au profit de la marquise qu’une liberté relative, avec une pension de 4 000 livres et la jouissance de ses biens paraphernaux représentant un revenu de la même somme. Le marquis rejeta ces propositions modérées avec mépris. Son gendre du Saillant le suppliait d’y souscrire. Mais il répondit à tout et à tous « que quand Rongelime lui apporterait une donation des biens maternels aux enfans et héritiers naturels, acte par lui autorisé et contrôlé, et le consentement de sa mère à demeurer close toute sa vie, condition sine qua non, encore ne voudrait-il pas recevoir ces choses de la main de celle créature, et qu’enfin, avant tout, il voulait qu’elle fût renvoyée à son domicile naturel… »