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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/943

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de ce que la magnifique Venise a jamais eu de plus noble, de plus gai et de plus poétique.

Dickens est plus que jamais à la mode à la veille du centième anniversaire de sa naissance, parce qu’il a toujours pris garde de froisser les âmes délicates, parce qu’il n’y a pas d’écrivain qui sache mieux toucher et attendrir, que les larmes qu’il verse sont vraies et que la compassion est leur source unique. S’il reste le plus railleur, le plus comique et le plus bouffon des auteurs anglais, ayant gardé de sa misérable enfance une certaine vulgarité, et si sa plaisanterie n’est pas toujours de choix, du moins il a cru et fait sentir qu’il n’y a de vraie joie que dans les émotions du cœur, que l’humanité, la pitié, le pardon sont ce qu’il y a de plus beau dans l’homme. Cette imagination étrange cette bonté morale et ce besoin de sympathie sont encore et demeureront les raisons de son succès et de sa popularité.

Au moment où le sort de la Perse se débat entre la Russie et l’Angleterre, tandis que cette lutte risque de ruiner ce qui reste des antiques monumens dans ce pays en état d’anarchie, il est superflu d’attirer l’attention sur cet ouvrage précieux de M. René d’Allemagne, Trois mois de voyage en Perse[1], qui trouve un regain d’actualité que n’a pas cherché le savant érudit et lettré. Depuis plusieurs mois, il parcourt une région où se sont croisées les civilisations les plus anciennes, où se sont heurtés tous les peuples. Qui n’a présente à l’esprit l’incomparable description qu’a donnée ici même des hauts plateaux de l’Iran Pierre Loti, abordant au seuil des solitudes sur la rive brûlante de ce golfe Persique où l’air empli de fièvre est à peine respirable, partant de là pour cette marche pénible le long de cette muraille tantôt bleue, tantôt rose qui semble nous suivre, et franchissant le rebord de cette Perse qui gît à 2 ou 3 000 mètres d’altitude sur les immenses plateaux d’Asie, pour faire cette chevauchée « par les sentiers mauvais dans le vent âpre et froid des solitudes extrêmes à travers les plateaux d’Asie les plus élevés et les plus vastes du monde, ’qui furent les berceaux des humanités et sont devenus aujourd’hui des déserts ? Qui n’entend encore son appel enchanteur : « Qui veut venir avec moi voir la saison des roses à Ispahan ? »

Pierre Loti avait traversé la Perse du Sud au Nord pour remonter vers Ispahan. C’est du Nord-Est à l’Ouest que M. René d’Allemagne, parti de la région du Khorassan, a exploré en zigzag jusqu’au pays des Bakhtiaris à l’Ouest d’Ispahan. Tout le long de la route, il note

  1. Hachette.