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mariage de Bella, tandis que les jours, où l’on boit et on mange en abondance, s’écoulent confortablement, à la satisfaction des hôtes et des joyeux convives, et que les nuits sont bonnes. Certaines scènes, d’une gravité bouffonne, en diligence, à l’hôtel du Taureau à Rochester, dans d’innombrables auberges, aux noces de M. Trundle sont irrésistibles. Ici, c’est l’atroce misère sous les brouillards de Londres, la fumée des usines, le tribunal, la prison. Jusqu’à des histoires de revenans. il y a de tout dans ce mélange bien anglais, comme celui qu’on voit dans leurs plus opulens magasins.

Pour rendre par le crayon et le pinceau ces types si bien observés, merveilleusement approfondis et si représentatifs de la société anglaise, M. Cecil Aldin était bien l’artiste qu’il fallait, le trait un peu appuyé répond à la plaisanterie parfois un peu lourde de Dickens et souligne son intention, et ses dessins laissent une impression ineffaçable. On retrouve sous son pinceau les personnages, tels que Dickens les a fait vivre avec son talent de caricaturiste, toute cette galerie d’originaux, fripons et fort braves gens, avec leurs vices et leurs vertus. On y revoit, avec les détails exacts et frappans, toutes les parties et toutes les couleurs du tableau évoqué par ce prestigieux créateur, et rien n’est plus savoureux s pour nous Français surtout, que l’originalité, la nationalité de cette imagerie anglaise ou l’ironie révèle les petits travers de la race et du caractère anglais dont le fond est le manque de bonheur.

De Dickens également, paraît chez Flammarion une non moins riche édition de M. Pickwick [1], traduit par M. Georges Duval, ornée des fines et très amusantes aquarelles de Frank Reynolds, où la variété, la maîtrise et l’éclat donnent à chacune de ces compositions la valeur d’un véritable tableau de genre.

C’est enfin chez le même éditeur, et par le même traducteur, le Marchand de Venise[2] où sir James D. Linton, avec le talent que l’on sait et dans la manière et l’esprit de l’école anglaise, a donné de très habiles et très délicates interprétations de Shylock, de Jessica et de Lancelot, de Portia et de Nerissa, d’Antonio et de Bassanio, de Gratiano et de Lorenzo. Il y a dans ces planches une très heureuse recherche de style et de mise en scène. Inspirée de la médiocre nouvelle de Pecorone de ser Giovani Fiorentino, qui sent son moyen âge de la manière la plus déplaisante et la plus barbare. la pièce de Shakspeare, lumineuse comme les toiles de Veronèse et du Titien, est la peinture

  1. Ernest Flammarion.
  2. Ernest Flammarion.