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GIOVANNI PASCOLI.

nies les plus lointaines la tyrannie de leurs armes ! Douloureux spectacle, en vérité, pour le rêveur qui voudrait voir régner dans l’univers la loi d’amour.

Mais en protestant contre la guerre, c’était aux aspirations intimes de ses compatriotes qu’il s’opposait. Ceux-ci étaient agités par le besoin de montrer au monde leur vitalité ; entraînés par le sûr accroissement de leurs forces, ils songeaient à se répandre au dehors, et à conquérir, dette ardeur, pour un temps, Pascoli ne craignit pas de la braver, au milieu des clameurs. Cependant le sentiment patriotique devenait toujours plus fort dans le pays ; il pénétrait toutes les âmes ; il apaisait les divisions politiques : il s’imposait à tous les partis. Pour les historiens de l’Italie future, ce sera un phénomène essentiel à observer que ce prodigieux élan national. Brisant toutes les résistances, il fit plier Pascoli. C’est en 1900 que le poète proposa, devant les étudians de Messine, ce qu’il appelait le socialisme patriotique : de même que les pauvres doivent défendre leur personnalité contre l’envahissement des riches, de même les peuples doivent résister aux voisins ambitieux qui visent à une domination universelle. On peut concilier ce qu’on doit à l’humanité et ce qu’on doit à la patrie : les humbles qu’il faut secourir, ce sont assurément tous ceux qui souffrent de par le monde ; mais ne sont-ce pas des victimes aussi que les émigrans italiens ? et ne présentent-ils pas un devoir plus impérieux et plus aisé à remplir à des fils nés du même sol ? — Pendant les années qui suivirent, il allait expliquant sa formule : le nationalisme conserve le caractère et l’essence de chaque peuple ; l’internationalisme empêche les guerres qui détruiraient ce caractère et cette essence : soyons donc nationalistes et internationalistes à la fois. Quand vint enfin la récente guerre, aboutissement fatal d’une impulsion devenue irrésistible, il fut nationaliste, sans correctif et sans épithète. Le discours qu’il prononça en l’honneur des morts et des blessés, à Barga, quelques mois avant sa mort, eut dans tout le pays un retentissement profond. « La grande prolétaire s’est mise en mouvement… » Le vocabulaire de l’orateur conservait la trace de son ancien parti. Mais il avait renoncé à l’effort douloureux de concilier les inconciliables ; son âme jouissait pleinement de la douceur de se sentir d’accord avec celle de la nation ; il était arrivé en même temps au terme de son évolution et de sa vie. La grande prolétaire, c’était désormais l’Italie.