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Les âmes se laissent voir dans les petits faits de la vie journalière. L’historien, qui en veut sonder le fond et démonter les ressorts chez les rois, les politiques et les capitaines, ne craint pas de descendre aux détails les plus vulgaires et les plus infimes : tout est ici relevé par la grandeur du personnage et la majesté de l’histoire. Le romancier dans le roman psychologique se sert des mêmes détails, mais il les choisit à son gré, les place où il veut, les enchâsse et les sertit si bien que d’un caillou grossier il fait un bijou charmant. Le sociologue ne connaît aucun de ces avantages. En psychologie sociale, comme en clinique médicale, la première règle est l’exactitude, la précision, la minutie et la patience dans l’observation des humbles choses qui sont souvent les plus révélatrices.

On trouvera beaucoup d’humbles choses dans les pages qu’on va lire, et d’autres ont vu certainement ailleurs ce que nous avons observé en Gascogne. Mais la concordance d’observations, faites sur des points divers, par des observateurs qui s’ignorent, est une marque de leur valeur et une présomption de vérité. Et puis des vérités déjà connues, presque vieilles, se raniment et se rajeunissent, prennent de la force et de l’autorité quand on les considère à l’état naissant, c’est-à-dire au sortir même des faits qui les contiennent. Les fleurs n’ont jamais plus d’éclat et les fruits plus de saveur qu’au moment où on les détache de la branche qui les porte.


II

Le petit paysan qui, à l’âge de six ans, entre à l’école pour la première fois est bien un apprenti de la terre : on peut même dire qu’il l’a été en quelque sorte en naissant. Pendant les pluvieuses journées d’hiver, où le travail ne presse guère, la mère a souvent porté le nourrisson à l’étable chaude, et, en manière de jeu, elle l’a mis à califourchon sur le dos de la vieille vache au regard mélancolique et indifférent. Dès qu’il a pu marcher il a saisi un bâton, et matin et soir, très sérieusement, comme la mouche du coche, il s’est employé à faire entrer et sortir les bestiaux. Aux semailles d’automne, quand les guérets sont fins et doux, le père assis sur la herse l’a pris dans ses bras, et il a tenu les guides. Dans ses premières conversations avec les autres