Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
144
REVUE DES DEUX MONDES.

jusqu’au manche… Ils lèvent de la terre à charretées… Ça fait peur… Tout le monde s’arrête pour regarder… Dites au voisin qu’il y vienne avec sa brabant et ses quatre garonnaises. » Le premier n’a pas la vocation, il ne l’aura peut-être jamais. Elle est née chez le second, décidée, vigoureuse, opérante et sous la forme qu’elle a toujours chez l’enfant, qui est l’admiration.

C’est en effet une admiration qui se cache à la racine de toute vocation : pour cultiver celle du petit paysan, l’école ne doit jamais perdre de vue cette notion capitale, sur laquelle on ne saurait trop insister. L’admiration est le dernier terme que l’analyse psychologique puisse atteindre, mais non pas le plus profond. Elle est sous-jacente à l’imitation qui joue dans notre vie individuelle et collective un rôle si important, et où Tarde a trouvé le principe le plus explicatif de la sociologie ; elle la précède, lui donne le premier branle, en est la condition. L’admiration est un mouvement qui nous sort de nous-même, une ouverture de l’âme, un élan où l’on sent vaguement de l’amour et du désir, parfois un véritable essor. Elle est, par cela seul, la source la plus féconde de notre éducabilité. Le phénomène admiratif est très initial, et cependant quelque chose est encore plus profond qui garde son mystère, c’est le substratum, c’est-à-dire notre innéité morale, faite de toutes les hérédités dont elle est l’expression. Nous sommes le prolongement de ceux qui nous ont précédés dans la vie. L’appel que nous entendons dans une direction déterminée, et qui est véritablement et en termes propres la vocation (vocare), nous donne l’illusion que nous obéissons à une force qui nous attire, au lieu que nous subissons une poussée, une vis a tergo héréditaire. La connaissance approfondie de l’hérédité dans une famille permettrait de reconnaître, et de protéger de bonne heure certaines vocations. Elle expliquerait bien des surprises, le goût très vif d’un enfant pour la terre dans un milieu défavorable, la révolte inattendue d’un autre contre le métier familial. Mais cette connaissance est impossible, car, outre les causes d’erreur inévitables en pareille matière, il se trouve que les hérédités les plus nettes, loin d’être toujours immédiates ou prochaines, remontent parfois à plusieurs générations. D’après une vieille légende, quand un enfant naît, les morts de la famille se réveillent, s’agitent et se parlent au cimetière. Sans doute que l’un d’eux, délégué par les