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LA VOCATION PAYSANNE ET L’ÉCOLE.

peut-être quelques autres, celle-ci par exemple que, judicieusement employé dans l’enseignement agricole, il est une des forces éducatrices les plus puissantes dont puisse bénéficier la vocation du petit paysan.

Restons dans la réalité : il n’y a qu’elle qui compte, si l’on a le souci de l’adaptation, qui est le secret du succès. Le patois est la langue agricole de la Gascogne. C’est de lui qu’on se sert pour commander les animaux, les flatter et les gourmander. C’est en patois qu’on sème et qu’on moissonne, qu’on salue les épis lourds « qui courbent la tête comme le col d’une oie, » et qu’en septembre éclate la joie triomphale des vendanges. C’est en patois que le vin nouveau délie les langues pour célébrer la vigne et conseiller aux jeunes de la planter de bon plant,

Comme de bonne mère il faut choisir la fille.

Joies, sentimens, images, tous les mouvemens de l’âme, liés aux travaux agricoles, sont fixés dans des mots patois. Quand il s’agit de la terre, on pense en patois, comme le montre une petite expérience que nous avons faite bien souvent et qu’il est facile de renouveler.

On expose à quelques jeunes paysans une question de science agricole. On s’applique à être méthodique, simple, clair ; on revient plusieurs fois sur les points difficiles ; on s’assure que tout est bien compris par les auditeurs attentifs. Mais ils restent silencieux et graves. On reprend la leçon en s’aidant du patois. Les visages s’éclairent : les remarques, les réflexions arrivent, même les objections. C’est de l’allégresse. Le patois a accompli ce miracle de transfigurer la science sous leurs yeux : ils la sentent maintenant faite pour eux, ils pourront l’emportera la maison, la garder avec leurs habits de tous les jours, en parler et s’en servir. L’instrument de luxe, dont on se méfiait tout à l’heure, est devenu un outil familier.

La leçon, entièrement faite en français, pour si soigneusement adaptée qu’elle soit, reste tout de même distinguée, haute, lointaine. Si le petit paysan se laisse prendre à son charme, — et cela arrive souvent, — ce sera aux dépens de la métairie, qu’il trouvera, pauvre, mal outillée, arriérée, grossière, qu’il dédaignera, et oubliera. Il y sera ramené par la même leçon, si le patois l’a éclairée, égayée, adoucie en la rendant rustique, paysanne comme lui. Certes, nous désirons que l’enfant res-