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éminemment braves ? . La réponse est facile, elle est contenue dans le récit détaillé des deux combats, Ces soldats, séparés de leur groupe par la furie de l’attaque, se sont trouvés, des deux côtés, privés de leur chef, sans officier pour les enlever. Leur éducation militaire n’a pu triompher de l’effet produit par l’apparition soudaine d’un danger redoutable : brusquement, la mort s’est dressée devant eux ; ils ont été l’homme primitif revenant aux armes primitives. Ils l’ont été durant une minute, le temps qu’une troupe apparût conduite par son chef et, se portant au secours d’un des partis, décidât l’autre à la fuite. Mais cette minute a existé, et cet exemple suffit pour démontrer l’erreur de la théorie de Tolstoï : « Le soldat est tout dans le combat. »

Ce qui est vrai en Europe reste vrai en Afrique.

La bravoure de nos tirailleurs est admirable, est folle ; toutefois, si elle atteint ce paroxysme qui l’élève jusqu’aux sublimes dévouemens, c’est grâce à la présence du « blanc. » Les Soudanais sont des hommes, plus près encore de la nature que les Européens ; livrés à eux-mêmes, ils auraient peut-être des retours vers « le caillou, » comme les civilisés de Crimée et de Mandchourie.

Cette bravoure de nos noirs est faite d’honneur et de fierté de race ; cependant, on ne trouverait, dans leurs combats, antérieurement à notre domination, aucun de ces actes qui sont la monnaie courante dont ils paient aujourd’hui notre affection.

En 1908, dans la Sassandra, le caporal Gogué Diara, seul avec quelques hommes, cerné, pressé par l’ennemi, arrive à lui arracher le corps de son lieutenant qui vient d’être tué. Il eût certainement abandonné le corps d’un de ses camarades.

Un an plus tard, à la Côte d’Ivoire, dans le Baoulé, il faut cinq blessures pour l’arrêter ; il ne tombe qu’après avoir eu la cuisse traversée, le péroné fracturé, et après avoir reçu trois balles dans la jambe et le pied. Son sang bambara est le principal mobile de sa valeur, mais il lutte jusqu’au bout parce qu’il veut être digne du blanc qui le commande et en mériter l’admiration, parce qu’en se battant, il défend la vie de son chef.

Dans ce même Baoulé, pendant la même période de répression, à la prise de Kami, le lieutenant Kaufman demande un homme pour reconnaître une palissade qui semble déserte, mais d’où, un moment plus tôt, est partie une fusillade terrible.

Le premier, parmi plusieurs autres, Baba Touré se présente.