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Il part, il se dissimule, il rampe à travers la brousse. Le voilà tout près de la palissade. Rien ne bouge. Il avance encore un peu, il parvient au pied des palanques, il se soulève, regarde. Pas un homme. La position est évacuée. A l’instant où il va crier la bonne nouvelle, sa voix s’arrête : à gauche à 20 mètres, une tranchée est remplie d’ennemis. Les fusils sont braqués sur lui. Qu’il reste immobile, muet, les indigènes ne tireront pas, afin de ne pas dévoiler leur embuscade. Il n’hésite pas, et pour mieux indiquer à son chef la direction d’où vont partir les balles à son adresse, il met lui-même en joue ceux qui le visent, et tire le premier.

Vingt détonations retentissent, il tombe grièvement blessé. Tout à l’heure les ennemis s’empareront de lui, le mutileront ; qu’importe ! Son officier est averti. Et il soulève sa tête au-dessus des herbes pour donner un dernier regard à ceux qu’il a sauvés. Que voit-il ? Le lieutenant vient de commander : En avant ! Il ne s’imagine pas que c’est pour aller à son secours ; il se dit qu’il n’a pas été compris, que son officier va tomber dans l’embuscade ; il doit compléter son renseignement. Rassemblant ses forces, il se dresse, et debout, s’offrant en cible à l’ennemi, avant de retomber, il a le temps de s’écrier :

— Avancez pas, y en a sauvages !

Brave petit tirailleur ; à cent cinquante ans de distance, il rééditait le cri sublime : « A moi, d’Auvergne, voilà l’ennemi ! » Il ne connaissait pas l’héroïsme de d’Assas, il en avait le cœur. Mais si son lieutenant n’avait pas été là, aurait-il jeté son cri d’alarme ?

La France pour lui, c’est l’officier qui a su se faire aimer en même temps que se faire admirer. Le drapeau de nos tirailleurs, c’est celui de leur officier, c’est leur officier lui-même.


LA RETRAITE DE ZINDER

Le Tchad ! nom magique, fascinateur ! Qui n’a rêvé du lac inconnu au centre de l’Afrique ?

Le Tchad ! Pendant longtemps, il a brillé devant les yeux à la façon des mirages évanouis avant d’être touchés ! Il semblait même à l’explorateur, lorsque ces mirages se levaient sur sa route, qu’ils avaient été lancés par le grand lac dont ils devaient être un reflet ; ils disparaissaient, renaissaient et reculaient sans cesse pour l’attirer vers l’eau mystérieuse.